Mois : février 2025

  • Istanbul en Bulles

    L’Âme d’une Nation à travers les Yeux d’un Artiste Rebelle involontaire

    Quelle bande dessinée, mes amis de la librairie « Chien Sur La Lune ! Il y a longtemps que je n’avais pas lu une œuvre aussi captivante. Riyad Sattouf et Marjane Satrapi peuvent faire leurs valises et abandonner l’idée de la bande dessinée biographique. « Ersin is in the house » », et tout va basculer. Cet auteur, en deux tomes (et nous attendons impatiemment le troisième), nous plonge dans la Turquie des années 80, 90 et 2000, jusqu’en 2017. Avec lui, nous grandissons, nous mûrissons, et suivons le parcours d’un artiste adulte sur les rives du Bosphore. Le Bosphore, où les vagues de la géopolitique agitent les plaques tectoniques de ce pays immense, crucial et magnifique, qui oscille entre deux continents, deux visions du monde . Nous faisons la connaissance d’Ersin, non pas comme un héros, un combattant, un Turc intrépide, mais comme un jeune homme effrayé qui, avec une sincérité désarmante, participe à l’écriture de l’histoire de son pays.

    Tout commence avec Tintin, Astérix et Superman, quand Ersin, passionné de bandes dessinées depuis son plus jeune âge, découvre le pouvoir de l’art à travers ces œuvres intemporelles. Ersin dessine merveilleusement bien, et c’est bien plus qu’un simple passe-temps pour lui. Jusqu’au jour où il décide de devenir ingénieur. Cette décision d’abandonner l’art pour se consacrer à des études « sérieuses » fera de lui un artiste. Étant un élève médiocre, l’école d’ingénieurs ne lui réussit pas, et pendant que le pays change de jour en jour – coups d’État, terrorisme, bouleversements politiques – Karaboult puise dans tout cela une force et une créativité gigantesques. Courageusement, il se met à dessiner et à vendre ses courtes bandes dessinées à des journaux satiriques qui, à cette époque, poussent comme des champignons après la pluie. Très vite, il devient dessinateur et en vit. Les changements politiques en Turquie coïncident avec la création du journal satirique « L’Insomniaque », avec lequel Ersin deviendra un dessinateur culte de la Turquie moderne. Mais cela l’entraînera aussi dans le tourbillon de l’histoire contemporaine turque, dans une lutte involontaire mais sincère contre l’autoritarisme d’Erdogan. Le diable emporte vite la plaisanterie, car le pays sombre dans l’islamisation et l’instabilité politique durant la deuxième décennie du XXIe siècle. « L’Insomniaque » devient la voix satirique de la jeunesse turque, un point de ralliement pour l’opposition citoyenne  face à la montée du conservatisme.

    Ce qui est merveilleux dans l’univers d’Ersin, c’est l’absence totale de malveillance et de mensonge. Ersin ne cache pas qu’il a peur, qu’il est terrifié par la situation. Il n’a pas de courage surhumain ni de sens du sacrifice, mais il est un scribe sincère qui, malgré lui, aime se moquer. Il provoque en respirant, et ensuite, il panique. Cela donne un ton incroyable à cette superbe bande dessinée, ainsi qu’une drôlerie particulière. Il est impossible de décrire la qualité et l’originalité des dessins, l’authenticité et la beauté organique qu’Ersin parvient à nous transmettre de cette ville (pour moi) la plus belle du monde : Istanbul. Mais aussi son talent caricatural – tout le monde en prend pour son grade, les progressistes, les conservateurs, les islamistes, et même les artistes ratés et lâches.

    Que dire de plus, sinon de vous plonger dans le Bosphore, de vous perdre dans les ruelles de Beyoğlu, ce quartier bohème rempli de belles filles et de beaux garçons (car les Turcs sont généralement un peuple beau), de rencontrer Ersin et sa joyeuse troupe de caricaturistes, de participer aux manifestations contre le « sultan » et de boire des larmes de rage pleins de gaz lacrymogène . La Turquie est une folie, mais aussi une douce mélancolie (« hüzün »). Ayez peur d’une guerre civile, et buvez une bière Effes en compagnie de la jeunesse turque. Cette bande dessinée est pleine de force et de finesse orientale.

    La Turquie, sous l’ère Erdogan, est un pays en pleine mutation. Depuis son arrivée au pouvoir en 2003, Recep Tayyip Erdoğan a profondément transformé le pays, oscillant entre modernisation économique et retour à un conservatisme religieux. Son règne, marqué par des succès électoraux répétés, a aussi été ponctué de controverses : répression des médias, arrestations massives après le coup d’État manqué de 2016, et un autoritarisme croissant qui a divisé la société turque. L’opposition, bien que fragmentée, continue de se battre pour préserver les vestiges de la laïcité kémaliste, tandis que la jeunesse turque, à travers des mouvements comme ceux soutenus par « L’Insomniaque », cherche à redéfinir l’identité du pays.

    « Journal Inquiet D’Istanbul  » est bien plus qu’une bande dessinée : c’est un voyage intime à travers l’âme d’un pays en pleine tourmente, une ode à la résilience et à l’humour face à l’adversité. C’est une œuvre qui mérite d’être découverte pour sa beauté, son audace et sa sincérité. Alors, plongez-vous dans ce récit, laissez-vous emporter par les rues d’Istanbul, et découvrez pourquoi cette bande dessinée est un trésor dessiné à ne pas manquer.

  • Epépé « Dans les Méandres de l’Incompréhension »

    Livre de la semaine

    Ferenc Karinthy est né le 29 février 1921 à Budapest. Fils de Frigyes Karinthy, écrivain de génie (auteur de « Voyage autour de mon crâne »), et d’Anna Bohm, psychiatre et psychologue, qui disparut dans les crématoires d’Auschwitz. Ferenc fut un dramaturge, écrivain, chroniqueur, traducteur et linguiste hongrois renommé, ainsi qu’un excellent joueur de water-polo. Un homme aux qualités et talents exceptionnels. C’est pourquoi son roman « Epépé » est le livre de la semaine » dans notre petite librairie.

    Malheureusement, la littérature hongroise est très peu connue en France. Ce pays, situé au cœur de l’Europe, autrefois un grand empire, a engendré une littérature, poésie et, plus généralement, art et culture d’une richesse exceptionnelle. Leur particularité et leur relative fermeture culturelle, ainsi que leur crainte de la germanisation, ont fait des Hongrois, Magyars un peuple très distinct sur notre continent. Un continent, ou plutôt une petite péninsule de l’immense masse terrestre asiatique, où nous nous comprenons généralement car nos racines culturelles sont gréco-latines, avec des références communes, des imbrications culturelles et historiques. La Hongrie n’est pas totalement exclue de ces connexions, mais on peut dire que sa langue la rend tout à fait unique dans l’histoire européenne. Bien qu’ils soient un peuple typiquement centre-européen, leur langue et leurs origines centrasiatiques, les rendent particuliers en Europe. Cela se ressent profondément dans leur littérature, profondément originale, singulière et, comme on le dit souvent, majestueuse.

    Le roman de Ferenc est unique : il explore la langue comme outil d’échange et de communication. Mais si son principe semble simple, la compréhension ne l’est pas. Comment communiquer quand la langue de l’autre est totalement étrangère, sans aucun repère culturel ou linguistique ? Le roman commence par le voyage de Budai, un linguiste renommé, se rendant à un congrès de linguistique à Helsinki (quelle coïncidence, un autre pays avec une langue rare et étrange). L’avion atterrit dans une mégalopole polluée, bruyante, chaotique, surpeuplée d’humains et de voitures… Budai perd ses bagages, ses documents, et dans un chaos indescriptible, il réalise qu’il n’est pas à Helsinki. Ni lui ni nous, lecteurs, ne savons où il est. Tout ressemble à notre civilisation, à nos mégalopoles oppressives, tout semble familier mais ne l’est pas. Et surtout, la langue, malgré ses connaissances polyglottes et linguistiques, Héro de Karinthy ne parvient pas à la comprendre, pas même le plus petit pronom, le verbe le plus courant, ou un nom. Aucune trace de grec, de latin, des langues slaves ou d’anglo-saxon, nordique. Une fois plongé dans ce tourbillon, une sentiment nauséabonde, angoissant accompagne ce roman sombre et original, un véritable chef-d’œuvre. Bien sûr, Kafka, Zamiatine nous viennent à l’esprit tandis que nous voyageons à travers ce cauchemar linguistique, décrit avec maestria par Ferenc Karinthy.

    Ce roman dérangeant est une métaphore parfaite de notre capacité exceptionnelle à ne pas comprendre l’autre. La multicouches de cette œuvre est incroyable : entre la chronique absurde d’un linguiste qui ne comprend pas et ne peut apprendre la langue de l’autre, se déploient des thèmes universels profonds : qu’est-ce que la langue ? À quoi sert-elle ? Que signifie communiquer ? L’atmosphère oppressante, humide et visqueuse d’une ville sans fin, surpeuplée, ajoute à l’angoisse, provoquant en nous un profond malaise. L’impuissance face à cette situation d’incompréhension, et la machine écrasante de la mégalopole qui broie les êtres humains comme un moulin, ajoutent à l’angoisse et à la peur, un niveau supplémentaire de folie, de chaos et d’horreur. Ferenc Karinthy a écrit un chef-d’œuvre, sans se perdre dans des futurs imaginaires et sombres, souvent qualifiés de « dystopies » ou « uchronies ».

    Le roman de Ferenc Karinthy, « Epépé », s’inscrit dans une tradition littéraire qui explore les limites de la communication et les absurdités de la bureaucratie et de la modernité, des thèmes chers à Franz Kafka et à Ievgueni Zamiatine. Comme dans « Le Procès » de Kafka, où Josef K. est confronté à un système judiciaire incompréhensible et oppressant, Budai, le protagoniste de « Epépé », est plongé dans un univers où la langue, outil fondamental de communication, devient une barrière insurmontable. Cette incompréhension linguistique reflète l’aliénation de l’individu face à des structures sociales et bureaucratiques qui le dépassent, un thème central dans l’œuvre de Kafka.

    De même, Zamiatine, dans « Nous autres », dépeint une société dystopique où la langue et la pensée sont contrôlées pour maintenir l’ordre et supprimer l’individualité. Dans « Epepe », bien que le contexte ne soit pas explicitement dystopique, l’incapacité de Budai à comprendre la langue de la mégalopole évoque une forme de dystopie linguistique, où l’échec de la communication symbolise l’échec de la connexion humaine dans un monde de plus en plus fragmenté et déshumanisé.

    Ainsi, « Epépé » de Ferenc Karinthy s’inscrit dans une lignée littéraire qui interroge les fondements de la communication et de l’identité humaine, tout en offrant une réflexion profonde sur les défis de la modernité. À travers l’absurdité et l’angoisse, Karinthy, comme Kafka et Zamiatine avant lui, nous invite à réfléchir sur notre propre capacité à comprendre et à être compris dans un monde de plus en plus complexe et déroutant.

    Disponible à la librairie Chien Sur La Lune .

  •  » J’emporterai le feu » Une fresque familiale entre passion, tabous et modernité

    Les romans de Slimani, et en particulier sa trilogie sur le Maroc et les trois générations d’une même famille, constituent une lecture agréable et captivante. Les deux premiers tomes, en particulier, sont remarquables. Leïla Slimani nous plonge avec fluidité et élégance dans l’année 1946, où une jeune Française originaire d’Alsace arrive dans un Maroc en pleine effervescence politique. Elle y retrouve son amour de guerre, Amin, un soldat colonial. Leur passion, ainsi que les tabous de l’époque concernant les mariages mixtes, ne peuvent empêcher cette femme de changer radicalement de vie et de fonder une famille dans un pays qui lui est étranger. De 1946 à nos jours, nous suivons les destins croisés de trois générations de cette famille métissée, traversant épreuves, victoires, pertes, désillusions, amours et trahisons.

    Le plus grand atout de cette œuvre réside dans sa lisibilité. Slimani est une conteuse hors pair, et jamais nous ne perdons le fil de l’histoire. Son style, d’un réalisme saisissant, nous maintient constamment en haleine, sans jamais nous laisser dans le flou ou la confusion. Le récit coule comme un ruisseau de montagne, limpide et continu. Dommage que le troisième tome, bien qu’intéressant et parfois brillant, soit plus formaté et empreint de clichés modernes, abordant des thèmes typiques de la société contemporaine.

    En somme, Slimani a écrit trois bons romans. Pour ceux qui aiment les sagas familiales et une écriture presque cinématographique (à certains moments, on se croirait dans une série palpitante), cette trilogie sera un véritable régal. L’œuvre de Leïla Slimani s’inscrit dans la lignée des grands récits familiaux et historiques, rappelant parfois les fresques sociales de siècle dernière .

    À travers cette saga, Slimani explore avec finesse la complexité des liens familiaux, les défis de l’identité culturelle et les tensions entre tradition et modernité. La famille, ici, est à la fois un refuge et un champ de bataille, un lieu où se jouent les luttes intimes et collectives. Les personnages, profondément humains, nous rappellent que la vie est un tissu de contradictions, de joies et de douleurs, où chaque génération doit négocier avec l’héritage du passé tout en forgeant son propre chemin.

    Disponible à la librairie Chien Sur La Lune.

  • Livre de la semaine : « Les Carnets du sous-sol » de Fiodor Dostoïevski

    Livre de la semaine : « Les Carnets du sous-sol » de Fiodor Dostoïevski


    Fiodor Dostoïevski (1821-1881) est l’un des plus grands écrivains russes et une figure majeure de la littérature mondiale. Né à Moscou, il a traversé une vie marquée par des épreuves intenses : une enfance difficile, une condamnation à mort commuée en exil en Sibérie, des dettes chroniques et une santé fragile. Ces expériences ont profondément influencé son œuvre, où il explore les abîmes de l’âme humaine, la liberté, la culpabilité et la rédemption. Parmi ses œuvres les plus célèbres figurent Crime et Châtiment, Les Frères Karamazov et Les Carnets du sous-sol, un roman qui incarne à lui seul la profondeur de sa pensée et son génie littéraire.


    Les Carnets du sous-sol (1864) est souvent considéré comme l’un des premiers romans existentialistes de l’histoire. L’œuvre se présente comme le monologue intérieur d’un narrateur anonyme, un homme amer, isolé et tourmenté, qui vit littéralement et métaphoriquement dans un « sous-sol ». Ce personnage, à la fois complexe et repoussant, incarne une dualité fascinante : il se sent intellectuellement supérieur aux autres, mais socialement rejeté et moralement déchu.

    Dostoïevski y explore des thèmes universels : la révolte contre la rationalité, le désir de liberté absolue, même au prix de la souffrance, et la quête désespérée de sens dans un monde absurde. Le narrateur, bien qu’antipathique, nous force à nous interroger sur nos propres contradictions. Comme il le dit lui-même : « L’homme aime créer et tracer des chemins, c’est incontestable. Mais pourquoi aime-t-il aussi passionnément la destruction et le chaos ? »

    Ce roman est aussi une critique acerbe de la société et de ses conventions. Le narrateur rejette l’idée que l’homme puisse être réduit à un simple calcul rationnel ou à un comportement prévisible. Pour lui, la véritable essence de l’humanité réside dans son irrationalité, sa capacité à agir contre ses propres intérêts, simplement pour affirmer sa liberté.

    Les Carnets du sous-sol est une œuvre sombre, mais profondément humaine. Elle nous confronte à nos propres démons intérieurs et nous rappelle que la condition humaine est faite de contradictions, de souffrances, mais aussi d’une quête incessante de vérité.


    Fiodor Dostoïevski est un génie littéraire dont l’œuvre continue de résonner avec une force inégalée. Son exploration des profondeurs de l’âme humaine, sa capacité à dépeindre les conflits intérieurs et sa vision prophétique de la société moderne en font un auteur intemporel. Les Carnets du sous-sol est une pierre angulaire de son héritage, un livre qui nous pousse à réfléchir sur notre propre existence et notre place dans le monde.

    Pour découvrir ou redécouvrir ce chef-d’œuvre, rendez-vous à la librairie Chien Sur La Lune, où vous trouverez cet ouvrage ainsi que d’autres trésors de la littérature mondiale.

    « Laissez-nous seuls, sans les livres, et nous serons perdus, abandonnés, nous ne saurons pas à quoi nous accrocher, à quoi nous retenir; quoi aimer, quoi haïr, quoi respecter, quoi mépriser?« 

  • Tu peux lâcher ma main » : Un voyage littéraire au cœur de la mémoire

    Vous est-il déjà arrivé de fouiner parmi de vieilles photographies ? D’ouvrir des tiroirs poussiéreux et de tomber, au milieu d’une pile de clichés, sur un visage, un paysage, une famille posant fièrement devant une vieille Simca, une Peugeot ou une Volkswagen ? Vous est-il arrivé que cette même image réveille en vous des souvenirs qui, comme une vague, vous submergent, faisant resurgir des centaines de détails, de voix, de visages, d’odeurs, de saveurs qui vous traversent tout entier ? Ainsi, il n’est pas rare que les morts nous visitent, non pas comme des spectres ou des fantômes effrayants et inquiétants, mais comme des présences, chaleureuses et nostalgiques. Leurs voix résonnent dans nos oreilles et parviennent, ne serait-ce qu’un instant, à nous ramener à une époque où nous étions encore ensemble.

    Le roman de Laurence Logiest-Chovaux a réussi, à travers son histoire familiale, à éveiller en nous cette douce mélancolie de retrouvailles avec ceux qui nous ont quittés. D’une manière fluide, simple et accessible, ce livre décrit la vie, à la fois ordinaire et romanesque. « Tu peux lâcher nos mains » est un témoignage, un refus de l’oubli et un bel hommage à la famille. Laurence refuse d’oublier. Par son écriture, elle redonne vie à des paysages, à des personnes, à leurs existences que le temps et la modernité tentent d’effacer. Elle capture l’essence de ces moments éphémères, ces instants qui, bien que passés, continuent de vivre en nous.

    Dans ce récit, chaque détail est une invitation à se replonger dans notre propre histoire. Les personnages, bien qu’ancrés dans une époque révolue, nous parlent avec une familiarité troublante. Leurs joies, leurs peines, leurs espoirs et leurs regrets résonnent avec nos propres expériences. C’est là toute la magie de ce livre : il ne se contente pas de raconter une histoire, il nous permet de revivre la nôtre.

    Tu peux lâcher ma main transcende le simple cadre du roman pour devenir une véritable étreinte littéraire, un pont tendu entre les vivants et ceux qui ne sont plus. C’est une célébration de la mémoire, un rappel que ceux que nous avons aimés ne disparaissent jamais vraiment tant que nous continuons à les évoquer. À travers ses mots, Laurence nous offre un refuge, un espace où le passé et le présent se rencontrent, où les souvenirs deviennent des compagnons bienveillants. Ce livre est une douce caresse pour l’âme, un rappel que, même dans l’oubli apparent, il y a toujours une lumière, une présence, une voix qui murmure : « Je suis toujours là ». Et c’est peut-être cela, la plus belle forme d’éternité.

  • LIVRE DE LA SEMAINE FAHRENHEIT 451

    Fahrenheit 451, ou comment Ray Bradbury nous avait prévenus (et on a préféré les vidéos de chats)

    Le livre de la semaine : Fahrenheit 451. Pourquoi Ray Bradbury ? Certains diront que Bradbury a écrit il y a 50 ans aux États-Unis, une vieille science-fiction dépassée et ennuyeuse. Tout cela, bien sûr, est faux. Bradbury est le pionnier de la forme moderne et artistique de la science-fiction. Sa créativité et son imagination peuvent largement rivaliser avec celles de ses successeurs, et souvent, il surpasse même les auteurs actuels de ce genre. Je me souviens comme si c’était hier de son recueil de nouvelles « L’Homme illustré », emprunté à ma bibliothèque locale où la bibliothécaire(qui avait entre 60 et 289 ans),  a à peine accepté de me le prêter. Car à la fin des années 80, il était encore très difficile d’accéder à la littérature pour « adultes » quand on était mineur. Déjà sur le banc devant la bibliothèque, j’ai lu les deux premières nouvelles, et je suis immédiatement devenu un amoureux convaincu de la prose de Bradbury. La claque fut révélatrice : Asimov, Heinlein, Simak et les autres auteurs de pulps étaient en réalité secs, répétitifs et englués dans leurs idées. Parmi eux, Ray se distinguait vraiment, il était autre chose.

    https://youtu.be/r6VUExA5UKA?si=6ZS7h4kJTSxWWcXY

    Bradbury est connu pour sa prose lyrique et son focus sur les émotions humaines, la nostalgie et les questions philosophiques, utilisant souvent la science-fiction comme cadre pour explorer ces thèmes. Cependant, ses œuvres ne se concentrent généralement pas sur les détails techniques ou la précision scientifique, ce qui a conduit certains critiques à contester leur appartenance à la science-fiction « pure ». Au lieu de cela, les œuvres de Bradbury sont souvent considérées comme de la « soft » science-fiction, voire de la fantasy, car elles se préoccupent davantage de l’expérience humaine que de la technologie. Par exemple, dans son célèbre ouvrage *Les Chroniques martiennes*, l’accent est mis sur les émotions humaines, la solitude et la nostalgie, plutôt que sur les aspects techniques du voyage vers Mars ou du fonctionnement des vaisseaux spatiaux.

    Ainsi, les œuvres de Bradbury se situent souvent à la frontière entre la science-fiction et la fiction littéraire, ce qui a suscité des débats sur leur identité de genre. Son style, empreint de lyrisme et de profondeur émotionnelle, dépasse souvent les limites traditionnelles de la science-fiction, ce qui le rend unique et difficile à classer dans des catégories de genre strictes.

    Fahrenheit 451 est l’un des deux romans que Bradbury a écrits. S’il n’avait écrit que celui-ci, cela aurait suffi à faire de lui une légende, ce qu’il est déjà aujourd’hui. L’histoire de « Fahrenheit 451 » se situe dans une société où les livres sont interdits, et la lecture est un crime (ça vous rappelle quelque chose  ?). Les pompiers et la police (qui sont plus ou moins la même chose) sont chargés de brûler les livres. L’un des policiers/pompiers prend conscience de l’horreur de la société dans laquelle il vit et décide de rejoindre un groupe de rebelles. Ce mouvement de résistance lutte contre la stupidité et la barbarie en apprenant par cœur des œuvres de la littérature classique. Tout le décor et l’histoire sont plus que jamais d’actualité. La lutte contre l’imagination, la belle prose, le savoir, l’érudition a connu un essor que Bradbury, hélas, n’a pas réussi à imaginer. Mais il nous a offert une allégorie glaçante qui nous avertit depuis plus d’un demi-siècle, sans pour autant porter ses fruits.

    L’abrutissement général de la population à travers la télévision, Internet, les réseaux sociaux (ah, hélas, nous aussi lisons cela sur Internet et les réseaux sociaux) est en plein essor. Beaucoup d’enfants dans nos sociétés « développées » n’ont jamais touché un livre. Il n’y a plus de pompiers pyromanes, mais en revanche, la « dématérialisation » et la lutte contre le « papier » (qui détruit les forêts, contrairement à l’IKEA et à l’agriculture intensive, bien sûr) sont en plein boom. La censure est plus forte qu’à l’époque de la France coloniale, de l’Angleterre victorienne ou de l’Allemagne nazie. La soumission volontaire et le léchage de bottes du « mainstream », du « pouvoir », des « éléments du langage » font de nous des pompiers pyromanes et des policiers volontaires de nos tristes vies aseptisées. Nous sommes réduits à une version « cheap » de la folie narcissique et de l’autoglorification, où le selfie est devenu l’aspect le plus important de l’existence, et l’autopromotion, une obsession jusqu’à l’évanouissement.

    Bien que nous ne brûlions plus les livres (du moins pas chez nous), nous les tournons en ridicule en changeant leurs titres, en amputant leurs mots, en les noyant sous des explications interminables et les jugements de commentateurs creux .

    Alors, bravo à nous ! Nous avons réussi à créer une société où l’ignorance est une vertu, la bêtise une norme, et la culture un vestige du passé. Bradbury nous avait prévenus, mais nous avons préféré regarder des vidéos de chats et « liker » des selfies. Aujourd’hui, nous sommes les pompiers pyromanes de notre propre déclin, et nous en sommes fiers. Et si un jour les livres disparaissent vraiment, ne vous inquiétez pas : nous aurons toujours nos écrans pour nous distraire de notre propre médiocrité. Après tout, qui a besoin de penser quand on peut scroller ?

    Disponible à la librairie Chien Sur La Lune

  • La Vie des Spectres : un roman qui dévore notre époque sans espoir ni pitié

    Patrice Jean a peut-être écrit le meilleur livre de l’année.Pas le plus beau, ni le plus intrigant, encore moins celui qui déborde d’espoir et de joie. Non, l’auteur a radiographié, comme avec un scanner, les entrailles de notre monde aseptisé, poli, désinfecté. « La Vie des Spectres » nous plonge dans cet univers, mais pas à la surface : il nous entraîne dans ses abysses, ses gouffres. 

    Jean est journaliste dans la presse régionale. Son métier consiste à rencontrer des personnalités marquantes de la vie locale pour en dresser le portrait. Cependant, lorsque l’un de ses articles déclenche une polémique sociétale, sa femme et son fils se retournent violemment contre lui. Ils l’accusent d’être dépassé, infréquentable, voire irrécupérable. Confronté à ce rejet, Jean quitte le domicile familial et s’installe dans un pavillon abandonné. C’est dans ce lieu isolé qu’il entame un dialogue inattendu avec des spectres, comme si ces derniers incarnaient les voix oubliées ou étouffées de la société. Leur conflit reflète les multiples questions qui déchirent notre société d’une manière presque manichéenne : néoféminisme, violence, éducation, sexe, « racisme », littérature. Patrice , sans langue de bois, avec un cynisme à la Brecht ou à la Hilsenrath, pulvérise les mythes, les tabous, et ne laisse aucune place à la mièvrerie nauséabonde. Pour Patrice , le monde a perdu sa force, son élan, sa créativité, son imagination. Les automates, les algorithmes et les morts-vivants règnent en maîtres sur nos vies, nous volant jour après jour notre raison, nos rêves, nos croyances, nos convictions. 

    Le héros, écœuré par l’hypocrisie de notre époque, cherche la paix parmi les spectres. C’est ainsi qu’il quitte notre monde pour dialoguer avec les fantômes. 

    Patrice Jean est la surprise de cette saison littéraire. Ce livre ne plaira pas à tout le monde, mais son honnêteté, son esprit et la finesse de sa plume ne laisseront personne indifférent. Que vous soyez « woke », mainstream, « in » ou « cool », essayez de vous glisser dans le monde des spectres de PJ. Vous n’y trouverez ni réconfort, ni compréhension, ni cette fameuse norme sociale moderne : « adapte-toi », « tolère », « sois bienveillant » et « de bonne volonté ». Non, vous y découvrirez la réalité crue de nos vies monotones et vides. PJ, avec un humour ravageur, met en lumière notre hypocrisie, notre duplicité, notre misère humaine.

    Évidemment, ce roman pourrait susciter colère et mécontentement chez certains lecteurs. Il faut être prêt pour cette lecture : elle ne vous caressera pas dans le sens du poil. Au contraire, elle vous forcera à réfléchir, à accepter l’horreur de notre quotidien vide et l’absurdité sans fin de notre prétendue « civilisation occidentale ». 

    Vous trouverez ce livre sur les étagères de la librairie Chien Sur La Lune.