Mois : octobre 2025

  • L’Appel des Trottoirs : L’Odyssée Brisée de Sorj Chalandon

    Cela fait près de douze ou treize ans que j’ai découvert Sorj Chalandon avec Quatrième mur. Depuis, ses romans sont devenus pour moi une sorte de nécessité. Comme une activité agréable et régulière — natation, cours de langue, chorale —, ses livres s’imposent sans être pour autant des chefs-d’œuvre prétentieux ou de lourds traités intellectuels. Les romans de Chalandon sont dynamiques, rapides, nerveux (dans le bon sens du terme), et résolument radicaux. Ils ont toujours quelque chose de cinématographique, avec des retournements inattendus, tout en restant accessibles, bien construits et faciles à lire.

    Son nouveau roman, Livre de Kells, est une œuvre autobiographique — la troisième, si je ne m’abuse. L’auteur y poursuit le récit de sa vie. Nous suivons Chalandon encore mineur, sur la route de Paris — une simple étape avant Katmandou, ni plus ni moins ! Après avoir rompu avec le foyer parental — et notamment avec « l’autre », son père, et sa mère (je vous invite à lire ses deux précédents romans autobiographiques, « Profession du père » et « L’enfant de salaud« , disponibles dans notre librairie) —, le jeune Sorj se retrouve à Paris. Mais cette ville, qu’il ne devait que traverser, se transforme en un labyrinthe sans issue : pauvreté, errance, quête désespérée de chaleur, de nourriture, bref, d’un toit.

    Une rencontre fortuite va pourtant l’arracher à la rue, à l’aiguille, à la bouteille, et à une fin tragique dans l’un des sombres passages de la « ville lumière ». Qui sont ces personnes, ce groupe qui lui tend la main ? Comment ce jeune homme a-t-il trouvé sa voie et réchappé de l’extrême précarité ? Vous le découvrirez dans Livre de Kells.

    Ce livre se dévore, s’absorbe plus qu’il ne se lit. Chalandon a ce talent rare de captiver son lecteur sans jamais l’ennuyer. Les pages s’enchaînent comme les trottoirs de Paris, comme ce mouvement vital qui permet d’oublier le froid, la faim, la tristesse et la solitude. Quiconque a connu, ne serait-ce qu’une fois, la précarité, l’impasse, la honte de la misère, se reconnaîtra dans ces pages. Un autre grand « millésime » de Chalandon : 1970, une année de mauvais vin, de galère, mais également le moment décisif d’un choix, d’une volonté de vivre et se battre , et d’un salut possible.

    À lire absolument.

    Retrouvez Livre de Kels et les autres œuvres de Sorj Chalandon dans votre librairie préférée : Chien Sur La Lune.

    EDITIONS Grasset 23€

  • Renaître par la Beauté

    Dans un monde de médiocrité et de pacotille, à une époque où même la réalité nous échappe et où la vérité, la loi, ne sont que des formes relatives, il est rare de trouver des écrivains contemporains alliant profondeur, talent et la volonté de façonner le beau et l’harmonie. Le Japon, souvent fantasmé par nous, Européens, comme un lieu de paix, de raffinement et d’élégance — où l’ikebana, la cérémonie du thé, le haïku, Hokusai, sont devenus ses symboles —, cache une histoire sombre et cruelle. On oublie trop facilement les millions de Chinois, de Coréens, de Philippins, disparus sous la botte de l’impérialisme japonais. C’est pourquoi, chez les auteurs japonais, j’ai toujours trouvé ces deux facettes : harmonie et chaos, ténèbres. Certains — possèdent cette approche onirique, pudique et élégante de l’écriture. Alors, quand je me suis plongé dans le dernier ouvrage de Mizubayashi, je partais de cette attente. Et, bien sûr, il ne m’a pas déçu : ce livre est une beauté condensée, une harmonie au cœur d’un monde en flammes.

    Tokyo, décembre 1944. Employé dans un centre de tri postal, Ren Mizuki y rencontre deux étudiants partageant sa passion pour la culture et l’art européens : Yuki, qui deviendra sa compagne de vie, également peintre, et Bin, violoniste promis à une carrière internationale, qui restera à jamais son frère de cœur.
    En 1945, Ren est envoyé en Mandchourie, dans l’enfer des combats. Mutilé, meurtri, il revient persuadé qu’il ne pourra plus jamais tenir un pinceau. Yuki lui offrira tout l’amour et la passion possibles pour l’aider à surmonter l’insurmontable.

    La double culture d’Akira est l’atout de cet auteur. Sa passion et sa connaissance profonde de la « culture européenne » se reflètent à chaque page de ce roman. Sa maîtrise somptueuse de la langue française est un atout supplémentaire. Et les quatuors de Beethoven accompagnent notre lecture : si vous le pouvez, mettez la Cavatine du Quatuor à cordes n°13 de Beethoven sur votre gramophone. Il est incroyable de voir comme « maître Mizubayashi » a merveilleusement entrelacé le mot, la note et la trace du pinceau sur la toile.

    Ce roman est une histoire d’amour, mais pas de ces amours sentimentales, modernes et superficielles. Cette œuvre décrit un amour réel, presque métaphysique, qui transcende le mal, la guerre, la souffrance. Un livre qui guérit, apaise, caresse et fait renaître.

    Retrouvez ce livre sur nos étagères à la librairie Chien Sur La Lune.

    GALLIMARD 21€