Ah, bien sûr ! Nous vivons assurément à une époque étrange et fascinante. Et vous savez ce que dit le vieux proverbe chinois ? « Puissiez-vous vivre à une époque intéressante. » La révolution technologique bat son plein, avec cette chose qu’on appelle l’IA (ou l’appareil à fabriquer des photos où les gens ont huit doigts, parce que visiblement, la symétrie est surcotée), les robots, les stations-service dotées d’écrans où, pendant que vous faites le plein, vous pouvez vous délecter de publicités soporifiques. Des inventions révolutionnaires qui simplifient notre vie, comme le banquier à distance : vous êtes loin et faites son travail, pendant qu’il utilise son temps libre pour surfer sur Internet et gonfler vos frais bancaires, peut-être en appelant parfois papa et maman pour savoir ce qu’il y aura au déjeuner dominical. Ces services distants sont parfaitement interchangeables, car chacun fonctionne sur le même principe : déléguez au client le travail pour que vous travailliez moins et que votre entreprise économise sur les guichets superflus, les bureaux, la courtoisie et les services. Le progrès, mes amis, n’a décidément pas de limites.

Les scientifiques, quant à eux, avancent à grands pas dans leurs recherches ; la découverte qu’un homme politique français est neurologiquement incapable d’empathie, de service public, de relations normales avec ses concitoyens, d’honnêteté et de probité judiciaire prouve que la médecine moderne peut tout expliquer, sauf peut-être pourquoi les chats préfèrent les boîtes en carton. Les influenceurs, les vendeurs en ligne, les réseaux sociaux, les vêtements « intelligents », les montres, les balais, les brosses, les cuillères, les pelles, les citrouilles, les casseroles, les réfrigérateurs… Tout cela fait partie de cette réalité incroyable, ou hyper-réalité, que nous offre la modernité quotidienne. Un peu comme si le monde avait été conçu par un committee de marmottes sous LSD.

Mais comment en sommes-nous arrivés au fromage ? Et est-ce que quelque chose pue dans toute cette affaire ? John Scalzi a peut-être justement sauté sur cette idée : nous vivons dans un monde plus ou moins biscornu où presque plus rien ne peut nous surprendre, ou presque. Et si notre chère Lune se transformait en fromage ? Mais pour de vrai ! Dans son roman, notre astre nocturne bien-aimé se métamorphose en le mets préféré des Français*. Ce qui semble totalement absurde et impossible, Scalzi l’a pourtant réussi : transformer une histoire invraisemblable en un roman de science-fiction diablement spirituel et hilarant. Les faiblesses humaines, l’illogisme crasse et les contradictions de « l’homme », les décisions absurdes et frivoles dans des moments critiques, la bêtise et la niaiserie de l’humanité sont ici élevées au rang d’art. Scalzi est une vraie trouvaille, comme une Lune lactée – grâce à une recommandation d’un client, j’ai savouré et ri aux éclats en lisant ce joyeux roman apocalyptique « non pasteurisé ».

À un niveau plus profond, cette histoire soulève des questions sur la perception du monde, notre vision des choses et l’élasticité de la réalité en ces temps complètement timbrés. Scalzi nous divertit jusqu’au bout, jusqu’au dernier morceau de fromage, mais avec une intrigue si absurde qu’elle parvient à tisser un discours raffiné sur nos travers et illogismes. Et tout cela avec du goût, de l’odeur, de la texture – spoiler alert : la Lune n’est pas un fromage français, dommage, car imaginez les possibilités pour les apéros spatiaux !
Quoi qu’il en soit, dépêchez-vous de découvrir ce roman jubilatoire. Et où mieux que dans notre librairie lunaire, Chien Sur La Lune ? Pour l’instant, aucune odeur suspecte chez nous… enfin, presque.

*Note : Si jamais cela arrive, préparez-vous à des débats passionnés sur l’appellation d’origine contrôlée. La Lune serait-elle un Brie ou un Camembert ? Les questions qui comptent, voyez-vous.
ÉDITIONS ATALANTE
22.40 €




