Étiquette : hommage

  • « À Bicyclette ! » – Éloge du désuet et du voyage intérieur 

    Je sais, je sais. Les lecteurs DVD ? Relégués au rang de curiosités archéologiques, comme ces boîtes à musique dont plus personne ne tourne la manivelle. On me rétorquera, avec ce sourire indulgent des modernes : « À quoi bon ces artefacts poussiéreux, ces disques argentés qui pâlissent dans l’ombre des étagères ? » Et l’on aura raison, bien sûr. Le progrès est un torrent qui emporte tout, et nos petites madeleines technologiques ne pèsent rien contre le flot des plateformes, des algorithmes voraces, des catalogues infinis où les œuvres naissent et meurent en un clignement d’œil. 

    Pourtant. 

    Ce « pourtant » est un refuge. Car ce DVD, justement, il vous attend. Lorsque les écrans s’éteignent par caprice des réseaux, lorsque les hackers ou les erreurs bureaucratiques vous privent de votre dose numérique, il est là, patient, fidèle. Pas besoin de naviguer dans un océan de contenus éphémères, de subir l’angoisse du choix devant dix millions de titres dont la moitié s’évapore avant même d’avoir été vus. Non. Ce disque-là, c’est votre livre préféré en version lumineuse, celui que l’on offre, que l’on impose avec une tendance obsessionnelle à ses proches, aux inconnus croisés dans la rue, à l’internet entier s’il le faut (un certain libraire de Villers-Bretonneux en sait quelque chose, n’est-ce pas ?). 

    Et puis, il y a ces moments où l’on a besoin de certitudes. Où l’on veut, non pas consommer, mais « habiter » une œuvre. C’est pour cela que votre librairie chérie – la nôtre – aligne quelques films soigneusement élus. Pas des produits. Des « objets d’art », des fragments d’humanité qui méritent leur pesant d’euros pour le droit de les retrouver, toujours, comme on revient à un vieil ami. 

    Aujourd’hui, parlons d’« À Bicyclette ! ». Je l’ai découvert au cinéma, traînant des pieds, m’attendant à une comédie gentiment oubliable, du rire en conserve, de l’émotion prédigérée. Quelle erreur. Ma femme, comme souvent (toujours ?), avait vu juste : ce film-là reste. Il s’accroche à la mémoire comme une mélodie têtue. 

    L’histoire ? Un « road movie », un « buddy movie », certes. Mais traversé par une faille : le deuil. Deux hommes, ni vieux ni jeunes – cinquante, soixante ans, l’âge où l’on commence à compter les absents – enfourchent leurs vélos. De Bretagne à Istanbul, ils refont le voyage qu’avait accompli le fils de l’un d’eux, avant de disparaître trop tôt. Leur but ? Honorer sa mémoire, peut-être. Comprendre son élan, sûrement. Retrouver, dans l’effort des côtes et le vertige des descentes, un peu de cette lumière qu’il portait, lui, le clown itinérant qui semait des rires dans les écoles sur son passage. 

    Alors oui, ils sont drôles, ces deux-là. D’une drôlerie tendre, maladroite, celle des âmes qui savent que le rire est une armure contre la nuit. Mais sous les pitreries, il y a la douleur sourde de celui qui a perdu un enfant, et l’amitié fragile qui tente de colmater l’incolmatable. Le film danse entre éclats de joie et silences lourds, sans jamais tomber dans le pathos. C’est une comédie, dit-on. En vérité, c’est une élégie. 

    Et puis, j’ai appris que le réalisateur, aussi acteur principal, avait vécu cette histoire. Qu’il la vivait encore. Cela donne au récit une gravité supplémentaire, comme un sanglot retenu derrière chaque sourire. 

    Alors, que vous dire, sinon que ce DVD – oui, ce petit cercle de plastique et d’argent – vous attend chez nous, à la librairie  Chien Sur La Lune ? Vingt euros pour une traversée. Vingt euros pour pédaler, rire et pleurer avec ces deux fous sublimes. Parce que Nantes-Istanbul, avouons-le, vous ne le ferez jamais. Eux, si. 

    « À Bicyclette ! » – Un film de Mathias Mlekuz.   20€

    Disponible parmi nos rayons, entre deux livres et un peu de poussière mélancolique.

  • « L’Ange Pasolini » – Une plongée dans l’âme tourmentée d’un génie

    En cette année 2025, nous commémorons le 50e anniversaire de la mort de Pier Paolo Pasolini, une figure majeure du XXe siècle, dont l’œuvre et la vie continuent de fasciner et de provoquer. À cette occasion, Arnaud Delalande, Denis Gombert et Éric Liberge nous offrent « L’Ange Pasolini », une bande dessinée magistrale qui explore la vie et l’héritage de cet artiste hors du commun. Ce roman graphique, à la fois sombre et lumineux, est une véritable immersion dans l’univers complexe et contradictoire de Pasolini.

    Le récit commence là où tout s’achève : sur une plage d’Ostie, en novembre 1975, où Pasolini est brutalement assassiné. Cette mort violente, presque symbolique, sert de point de départ à une rétrospective de sa vie. L’ange qui apparaît alors devient le guide de cette introspection, interrogeant Pasolini sur les moments clés de son existence. Ce dialogue entre l’homme et l’ange donne une dimension presque mystique à l’œuvre, tout en restant ancré dans la réalité crue de la vie de l’artiste.

    Pasolini était un homme de paradoxes : marxiste et homosexuel dans une Italie conservatrice, poète et cinéaste, aimé et haï à la fois. La bande dessinée explore ces contradictions avec une finesse remarquable. On y découvre un homme tiraillé entre son engagement politique, sa sexualité, son amour pour la culture populaire et son rejet des conventions sociales. Les auteurs réussissent à capturer l’essence de Pasolini, sans jamais tomber dans le piège de la simplification.

    Le travail graphique d’Éric Liberge est tout simplement époustouflant. Son style, à la fois précis et expressif, donne vie aux émotions les plus intimes de Pasolini. Les pleines pages, souvent muettes, sont de véritables tableaux qui invitent à la contemplation. Les choix chromatiques, oscillant entre le noir et blanc et de rares éclats de couleur, reflètent parfaitement les contrastes de la vie de l’artiste. Chaque case est une invitation à plonger plus profondément dans l’âme tourmentée de Pasolini.

    À travers cette bande dessinée, les auteurs ne se contentent pas de raconter la vie de Pasolini ; ils nous invitent à réfléchir à son héritage. Qu’est-ce que signifie être un artiste engagé aujourd’hui ? Comment concilier art et politique, liberté et contraintes sociales ? Ces questions, posées par Pasolini de son vivant, résonnent encore aujourd’hui avec une force intacte.

    « L’Ange Pasolini » transcende la simple biographie en images. C’est une œuvre profonde, grave, qui interroge autant qu’elle émeut. À travers le prisme de la vie et de la mort de Pasolini, les auteurs nous confrontent à des questions essentielles : la place de l’artiste dans une société hostile, le poids des contradictions intimes, et le prix de la liberté créatrice.

    BD disponible à la librairie Chien Sur La Lune

    L’évangile selon Saint Matthieu disponible à la librairie en Bleu Ray

    Né le 5 mars 1922 à Bologne, Pier Paolo Pasolini est l’une des figures les plus marquantes de la culture italienne du XXe siècle. Poète, écrivain, cinéaste et intellectuel engagé, il a marqué son époque par son œuvre protéiforme et ses prises de position souvent controversées.

    Après une jeunesse marquée par la Seconde Guerre mondiale et la mort de son frère Guido dans la résistance, Pasolini s’installe à Rome dans les années 1950. Il y découvre les quartiers populaires, qui deviendront une source d’inspiration majeure pour ses romans, comme « Ragazzi di vita » (1955).

    Dans les années 1960, il se tourne vers le cinéma, réalisant des films qui mêlent réalisme et poésie, comme « Accattone » (1961) et « L’Évangile selon saint Matthieu » (1964). Ses œuvres, souvent critiques envers la bourgeoisie et la société de consommation, lui valent à la fois l’admiration et la réprobation.

    Homosexuel assumé et marxiste convaincu, Pasolini a toujours été une figure marginale, en décalage avec les normes de son époque. Son dernier film, « Salò ou les 120 Journées de Sodome » (1975), reste l’une de ses œuvres les plus choquantes et les plus discutées.

    Le 2 novembre 1975, Pasolini est assassiné sur une plage d’Ostie, dans des circonstances jamais totalement élucidées. Sa mort violente a contribué à en faire une icône, dont l’œuvre continue d’influencer et de provoquer des débats passionnés.