Étiquette : Littérature

  • Billet aller-retour pour la jeunesse

    Mes petits pieds nus s’enfoncent dans l’asphalte brûlant d’une petite ville à une cinquantaine de kilomètres de la capitale. La journée est continuellement et terriblement chaude. Avec quelques amis, nous sautillons vers la piscine municipale. Le soleil de juillet, puissant et gigantesque, est là pour nous rappeler que nous sommes des « Chasseurs d’été », rendant chaque instant de cet été essentiel et irremplaçable. Aussi ordinaire, banale et quotidienne que soit la vie dans cette bourgade endormie, cachée à l’ombre des jardins, des appartements aux stores baissés, des terrasses de cafés, pour nous, elle est unique, excitante et magnifique. Nous avons chassé l’été comme tant de générations avant nous, et après nous. La douce sensation d’insouciance et de quasi-immortalité nous donnait de la joie et du bonheur, oh, combien rares ces émotions dans la vie adulte !

    Soufiane Khaloua a réussi à décrire cela à la perfection. La ville provinciale tranquille, les gamins, le quotidien, les petites et grandes inquiétudes, les petits et grands moments de l’enfance et de la jeunesse. Ramadan, Paul, Nelson, Julien et l’étrange mais ô combien familier ami mystérieux Naka (que nous avons tous connu à un moment donné) ne sont pas des stéréotypes, mais des figures lumineuses de chasseurs, érigées comme de magnifiques statues en l’honneur de l’enfance, de la croissance, de la jeunesse et de son unicité.

    Le style et l’écriture de Soufiane sont lumineux, agréables, le livre se lit avec plaisir. Ce roman porte en lui ce que nous avons tous vécu. Mais rarement eu la volonté de nous en souvenir. Combien « chasser l’été » est un exploit noble, tout comme la jeunesse qui n’est pas seulement « drogue », « violence », « insolence » (merci aux médias nationaux pour cette magnifique image de notre jeunesse) mais la partie la plus poétique, la plus romanesque de nos vies.


    Ce roman est une caresse littéraire, un écho doux-amer des jours où le temps semblait s’étirer à l’infini. Khaloua, tel un archéologue des âmes, exhume les trésors oubliés de nos étés passés, nous offrant un refuge où la nostalgie se mêle à l’émerveillement. Pour qui cherche à retrouver la lumière fugace de l’adolescence, « Chasseurs d’été » est une invitation à ralentir, à respirer ces souvenirs comme un parfum d’été qui jamais ne s’évapore.

    Monter dans un train qui va à reculons et nous ramène vers la jeunesse est un véritable plaisir, un grand merci à Soufiane Khaloua pour le billet de train et la possibilité de retourner dans ces quelques moments brûlants.

  • La souffrance palpable

    Le roman brut de Sapin-Defour

    Cédric Sapin-Defour naît en 1975 à Saint-André-des-Vergers et grandit au gré des mutations de ses parents, enseignants d’EPS, ce qui l’immerge très tôt dans les activités de pleine nature. Sa passion pour la montagne éclôt à huit ans, lors d’une découverte de Chamonix. Après des études de médecine abandonnées en quatrième année, il devient à son tour professeur d’EPS, consacrant son temps libre à l’alpinisme, l’escalade, le ski de randonnée et le parapente. Installé à Arêches dans le Beaufortain depuis 2005 avec son épouse Mathilde, il partage une vie nomade, souvent rythmée par les voyages en van aménagé à travers les montagnes d’Europe. Depuis 2023, il est en disponibilité de l’Éducation nationale pour se consacrer à l’écriture et à l’aventure.

    Auteur prolifique, Sapin-Defour publie d’abord des essais sur l’alpinisme, comme « Le Dico impertinent de la montagne » (2014) ou « Gravir les montagnes est une affaire de style » (2017), explorant les liens entre nature, humanité et quête de sens. Son roman « Son odeur après la pluie » (2023), récit poignant du deuil de son chien Ubac, connaît un succès foudroyant avec plus de 700 000 exemplaires vendus, plusieurs prix littéraires, et des adaptations en bande dessinée, théâtre et cinéma. En 2025, il publie « Où les étoiles tombent », inspiré de l’accident de parapente de sa compagne Mathilde, un témoignage brut sur la fragilité et la reconstruction.

    Après « Son odeur après la pluie », Cédric Sapin-Defour nous revient avec « Où les étoiles tombent », un deuxième roman qui confirme son talent pour saisir les nuances de la condition humaine. Cette fois, le thème central est à nouveau la perte et la tristesse, mais aussi la volonté farouche de vivre et la reconstruction. Le livre est d’une intensité rare, radicalement ardue. La souffrance y est décrite de manière organique, corporelle, presque chimique ; elle n’est pas seulement étouffante pour l’âme, mais aussi physiquement palpable. Chaque instant devient une question de vie ou de mort, si bien qu’à la lecture, la mort est omniprésente, comme tapie dans l’ombre, attendant son heure, tandis que les protagonistes lui ont échappé de justesse, à quelques millimètres près.

    L’histoire, bien que simple, est construite avec une ingéniosité remarquable. Le temps dans le roman s’écoule de manière épuisée, étrange, et c’est précisément cet aspect qui lui confère une force narrative exceptionnelle, une dynamique singulière et envoûtante. Ceux qui ont aimé « Son odeur après la pluie » se sentiront irrésistiblement attirés par ce nouvel opus. Si vous n’avez pas peur de la « chute », si vous croyez encore à l’élan et au sursaut après l’effondrement, alors embarquez avec Cédric Sapin-Defour pour ce voyage difficile, profondément humain.

    À l’image du mythe d’Icare et Dédale, où la chute n’est pas une fin mais l’audace d’avoir tenté l’envol, ce roman souffle un vent d’espoir : celui de renaître, plus sage et plus fort.

    Disponible à la librarie Chien Sur La Lune

    Editions Stock 22€50

  • « La Ligne » d’Aharon Appelfeld

    « La Ligne » d’Aharon Appelfeld

    Cela fait déjà une dizaine d’années que je lis Aharon Appelfeld. De livre en livre, je découvre l’incroyable talent de cet écrivain, malheureusement disparu. La vie d’Aharon pourrait aisément être comparée à un roman. Né le 16 février 1932 à Jadova, près de Czernowitz (alors Cernăuți, dans le Royaume de Roumanie), il est mort le 4 janvier 2018 à Petah Tikva, en Israël. Issu d’une famille juive aisée, il était profondément attaché à sa mère, dont il parle souvent dans ses écrits, tandis que ses relations avec son père étaient plus distantes. Son enfance idyllique a été anéantie le jour où les collaborateurs roumains ont fusillé sa mère. À partir de ce moment, Appelfeld est devenu un enfant en fuite : d’abord avec son père, puis, pendant une grande partie de la guerre, seul, caché chez des paysans, des femmes de « petite vertu » ou des partisans soviétiques. Dans le chaos de l’après-guerre, où des millions d’orphelins erraient à travers l’Europe centrale et orientale dévastée, Appelfeld a continué son périple jusqu’en Israël, où il a dû s’adapter à une société « peu patiente » envers les « survivants » et apprendre une langue qui lui était étrangère : l’hébreu. Mais cela est une autre histoire…

    Dans La Ligne, Appelfeld explore avec une retenue poignante et une profondeur intime le sentiment de vengeance. Erwin Siegelbaum, libéré depuis quarante ans d’un camp de concentration, passe ses jours à arpenter les trains de l’Autriche d’après-guerre. L’alcool, les liaisons éphémères et les cauchemars hantent son existence. Ce qui le maintien à flot, c’est sa quête : collecter les menorahs, les coupes de kiddouch et les livres sacrés ayant survécu à leurs propriétaires disparus. Et surtout, l’espoir de retrouver l’officier nazi qui a assassiné ses parents… pour avoir enfin la force de le tuer.

    Ne cherchez pas ici un récit indécent, larmoyant, du type Sage-femme d’Auschwitz. Appelfeld ne moralise pas, ne cherche pas à émouvoir artificiellement. La vengeance chez lui n’est pas un acte héroïque, mais une obsession vide, une pulsion qui ronge plus qu’elle ne libère. Comme ces rails qui s’étirent à l’infini dans les paysages autrichiens, la quête d’Erwin est une boucle sans fin. L’alcool, les femmes, les nuits sans sommeil ne sont que des échappatoires, des pansements sur une plaie qui ne cicatrise pas.

    Les souvenirs, chez Appelfeld, ne sont jamais des flashbacks grandioses, mais des éclats fugitifs, des reflets qui apparaissent et disparaissent sans crier gare. Son style, minimaliste et pourtant lyrique, restitue cette sensation d’irréalité, comme si le passé ne pouvait être saisi que par bribes. Il n’y a pas de catharsis, pas de résolution. Ces rails droits comme un destin, ces courbes imposées – comment en descendrait-on ? Le voyage continue, non par espoir d’arriver quelque part, mais parce que s’arrêter reviendrait à regarder en face l’absence de terminus.

    La Ligne est une œuvre qui refuse les catégories faciles. Ce n’est ni un roman historique, ni un thriller vengeur, ni un récit de survie édulcoré. C’est une plongée dans l’esprit d’un homme hanté, où chaque paysage traversé devient le miroir de son âme déchirée.

    Disponible à la librairie Chien Sur La Lune .

  • Tu peux lâcher ma main » : Un voyage littéraire au cœur de la mémoire

    Vous est-il déjà arrivé de fouiner parmi de vieilles photographies ? D’ouvrir des tiroirs poussiéreux et de tomber, au milieu d’une pile de clichés, sur un visage, un paysage, une famille posant fièrement devant une vieille Simca, une Peugeot ou une Volkswagen ? Vous est-il arrivé que cette même image réveille en vous des souvenirs qui, comme une vague, vous submergent, faisant resurgir des centaines de détails, de voix, de visages, d’odeurs, de saveurs qui vous traversent tout entier ? Ainsi, il n’est pas rare que les morts nous visitent, non pas comme des spectres ou des fantômes effrayants et inquiétants, mais comme des présences, chaleureuses et nostalgiques. Leurs voix résonnent dans nos oreilles et parviennent, ne serait-ce qu’un instant, à nous ramener à une époque où nous étions encore ensemble.

    Le roman de Laurence Logiest-Chovaux a réussi, à travers son histoire familiale, à éveiller en nous cette douce mélancolie de retrouvailles avec ceux qui nous ont quittés. D’une manière fluide, simple et accessible, ce livre décrit la vie, à la fois ordinaire et romanesque. « Tu peux lâcher nos mains » est un témoignage, un refus de l’oubli et un bel hommage à la famille. Laurence refuse d’oublier. Par son écriture, elle redonne vie à des paysages, à des personnes, à leurs existences que le temps et la modernité tentent d’effacer. Elle capture l’essence de ces moments éphémères, ces instants qui, bien que passés, continuent de vivre en nous.

    Dans ce récit, chaque détail est une invitation à se replonger dans notre propre histoire. Les personnages, bien qu’ancrés dans une époque révolue, nous parlent avec une familiarité troublante. Leurs joies, leurs peines, leurs espoirs et leurs regrets résonnent avec nos propres expériences. C’est là toute la magie de ce livre : il ne se contente pas de raconter une histoire, il nous permet de revivre la nôtre.

    Tu peux lâcher ma main transcende le simple cadre du roman pour devenir une véritable étreinte littéraire, un pont tendu entre les vivants et ceux qui ne sont plus. C’est une célébration de la mémoire, un rappel que ceux que nous avons aimés ne disparaissent jamais vraiment tant que nous continuons à les évoquer. À travers ses mots, Laurence nous offre un refuge, un espace où le passé et le présent se rencontrent, où les souvenirs deviennent des compagnons bienveillants. Ce livre est une douce caresse pour l’âme, un rappel que, même dans l’oubli apparent, il y a toujours une lumière, une présence, une voix qui murmure : « Je suis toujours là ». Et c’est peut-être cela, la plus belle forme d’éternité.