
Chers amis de la librairie Chien Sur La Lune,
Me revoici, vous écrivant une fois encore depuis le nord du Portugal. Les jours sont courts quand on est en vacances, mais,pour vous, je trouve toujours le temps d’écrire, au milieu de ces journées qui filent, hélas trop vite dans ce pays si merveilleux.
Notre rencontre approche. Votre librairie bien-aimée ouvrira bientôt ses portes, et en attendant, votre libraire prépare son retour – dévorant des kilomètres de texte tout en parcourant les routes portugaises, s’imprégnant autant qu’il le peut de cette terre culturellement si riche.


Je me suis noyé dans la musique, dans l’histoire, mais également dans le quotidien : les marchés, les poissonneries, les boulangeries, les échoppes d’artisans, les bistrots et les tavernes, les restaurants. Je fuis ces « Disneyland » touristiques qui, ici, sont presque inexistants. Les grandes villes, comme partout dans le monde, sont envahies par le tourisme de masse – ces forfaits tout compris et ces « hordes de touristes » qui, tels des soldats disciplinés, suivent un guide brandissant un drapeau, répétant mécaniquement des bribes d’histoire et de géographie sans âme. Les téléphones portables remplacent les yeux (ou du moins un bon vieil appareil photo) et capturent tout – des bouteilles en plastique aux joyaux de l’architecture baroque. Je vous le garantis : 99 % de ces clichés ne quitteront jamais l’écran de leur portable. Beaucoup ne prennent même pas la peine de goûter aux petits restaurants portugais, pourtant si simples, savoureux et abordables, préférant se contenter de pizzas ou de McDonald’s.

Votre correspondant, hélas (malgré lui), fait partie de ce monde, mais il tente au moins d’explorer l’autre visage du Portugal – celui, réel, où les gens vivent au jour le jour, loin des décors clinquants réservés aux touristes. Ces vieilles rues, à deux pas des centres-villes, où le linge sèche parfumé au soleil, tendu sur des cordes entre les immeubles. Les façades décrépies, les entrées d’immeubles, les quincailleries d’antan, les ateliers d’artisans où des maîtres aux cheveux gris bavardent avec leurs clients. Chacune de ces portes, fenêtres ou balcons a bien plus à raconter que toutes ces boutiques de pacotille ou ces produits globalisés, identiques à ceux de Copenhague, Paris ou Budapest. J’observe des gens qui discutent entre eux dans la rue, qui ne fixent pas des écrans ni n’arborent des écouteurs tout en parlant à leur voisin.

Je traverse des parcs où l’on joue aux échecs, aux dominos ou à la pétanque, en sirotant une « Super Bock ». Je croise des vieilles dames, des bourgeoises élégamment vêtues, conversant à voix basse sous les platanes et les chênes centenaires. Le Portugal n’a pas encore adopté ces « merveilleuses » solutions urbaines où il faut abattre tous les arbres sur des places publiques – alors les gens s’assoient toujours à l’ombre des vieux troncs, perpétuant cette douce habitude de se retrouver.

Je passe par des villages qui entretiennent leurs petites chapelles, leurs places fleuries et verdoyantes, où règne le même esprit : des gens assis qui bavardent, des enfants qui font du vélo, qui jouent. Les cris joyeux des petits sont ce qui rapproche le Portugal de la Grèce – ici, les enfants ont encore le droit de jouer dehors jusqu’à tard le soir, quand la chaleur s’estompe et que le parfum de l’eucalyptus (omniprésent dans le nord) enveloppe la fraîcheur du crépuscule. Les rires d’enfants… quelque chose qu’on n’entend plus, dans les pays occidentaux « développés », que dans les cours d’école…

Dans ce pays, la nourriture a encore du goût : des légumes frais et abordables, du excellent poisson. Du poulet au « piri-piri » brûlant, des salades fraîches, des tomates, des oignons, des concombres, de la morue, des calamars, des « pasteis de nata », des gâteaux à la crème… Et bien sûr, le « fado » – cette musique divine, mélancolique à en mourir, dont je m’enivre depuis mon arrivée.

Et de la littérature, nous en parlerons à la librairie : Pessoa, Saramago, Tavares… Il y a tant à lire, à découvrir.

Tout cela fait de ce petit pays périphérique une oasis paradisiaque – un lieu qui, d’une certaine manière, appartient encore en partie à une autre époque. La différence entre la France et le Portugal n’est que d’une heure (le Portugal a du retard), mais en réalité, le Portugal est, par quelque miracle, resté dans le siècle dernier – pas dans le mauvais sens, mais dans le meilleur esprit possible.

Est-ce une illusion ? Peut-être votre vieux scribe a-t-il tout imaginé ? Mais même si c’est le cas, quelle belle illusion… et si tangible.

Assez pour aujourd’hui. Gardons quelque chose pour les longs jours de pluie et de froid qui nous attendent dans notre chère Picardie.
Muitas saudações calorosas de Portugal !

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