Auteur/autrice : admin3665

  • « La Ligne » d’Aharon Appelfeld

    « La Ligne » d’Aharon Appelfeld

    Cela fait déjà une dizaine d’années que je lis Aharon Appelfeld. De livre en livre, je découvre l’incroyable talent de cet écrivain, malheureusement disparu. La vie d’Aharon pourrait aisément être comparée à un roman. Né le 16 février 1932 à Jadova, près de Czernowitz (alors Cernăuți, dans le Royaume de Roumanie), il est mort le 4 janvier 2018 à Petah Tikva, en Israël. Issu d’une famille juive aisée, il était profondément attaché à sa mère, dont il parle souvent dans ses écrits, tandis que ses relations avec son père étaient plus distantes. Son enfance idyllique a été anéantie le jour où les collaborateurs roumains ont fusillé sa mère. À partir de ce moment, Appelfeld est devenu un enfant en fuite : d’abord avec son père, puis, pendant une grande partie de la guerre, seul, caché chez des paysans, des femmes de « petite vertu » ou des partisans soviétiques. Dans le chaos de l’après-guerre, où des millions d’orphelins erraient à travers l’Europe centrale et orientale dévastée, Appelfeld a continué son périple jusqu’en Israël, où il a dû s’adapter à une société « peu patiente » envers les « survivants » et apprendre une langue qui lui était étrangère : l’hébreu. Mais cela est une autre histoire…

    Dans La Ligne, Appelfeld explore avec une retenue poignante et une profondeur intime le sentiment de vengeance. Erwin Siegelbaum, libéré depuis quarante ans d’un camp de concentration, passe ses jours à arpenter les trains de l’Autriche d’après-guerre. L’alcool, les liaisons éphémères et les cauchemars hantent son existence. Ce qui le maintien à flot, c’est sa quête : collecter les menorahs, les coupes de kiddouch et les livres sacrés ayant survécu à leurs propriétaires disparus. Et surtout, l’espoir de retrouver l’officier nazi qui a assassiné ses parents… pour avoir enfin la force de le tuer.

    Ne cherchez pas ici un récit indécent, larmoyant, du type Sage-femme d’Auschwitz. Appelfeld ne moralise pas, ne cherche pas à émouvoir artificiellement. La vengeance chez lui n’est pas un acte héroïque, mais une obsession vide, une pulsion qui ronge plus qu’elle ne libère. Comme ces rails qui s’étirent à l’infini dans les paysages autrichiens, la quête d’Erwin est une boucle sans fin. L’alcool, les femmes, les nuits sans sommeil ne sont que des échappatoires, des pansements sur une plaie qui ne cicatrise pas.

    Les souvenirs, chez Appelfeld, ne sont jamais des flashbacks grandioses, mais des éclats fugitifs, des reflets qui apparaissent et disparaissent sans crier gare. Son style, minimaliste et pourtant lyrique, restitue cette sensation d’irréalité, comme si le passé ne pouvait être saisi que par bribes. Il n’y a pas de catharsis, pas de résolution. Ces rails droits comme un destin, ces courbes imposées – comment en descendrait-on ? Le voyage continue, non par espoir d’arriver quelque part, mais parce que s’arrêter reviendrait à regarder en face l’absence de terminus.

    La Ligne est une œuvre qui refuse les catégories faciles. Ce n’est ni un roman historique, ni un thriller vengeur, ni un récit de survie édulcoré. C’est une plongée dans l’esprit d’un homme hanté, où chaque paysage traversé devient le miroir de son âme déchirée.

    Disponible à la librairie Chien Sur La Lune .

  • Soirée débat

     "ABOLIR LA CONTENTION" avec Mathieu Bellahsen 

    Où ? À la librairie Chien Sur La Lune – un lieu chaleureux pour les idées qui dérangent.
    Quand ? Jeudi 2 mai 2025 à 19h30
    Un débat urgent, un sujet brûlant
    La contention en psychiatrie : une violence banalisée, une pratique qui blesse, isole et tue. Mathieu Bellahsen, psychiatre engagé et auteur du livre *Abolir la contention*, viendra bousculer nos certitudes.

    Quelques chiffres glaçants (qui ne disent pas tout) :
    - 10 000 cas déclarés en 2021 (et tant d’autres invisibles…)
    - 42 morts entre 2011 et 2019
    - Des alternatives existent, mais peinent à se frayer un chemin

    **Pourquoi venir ?
    Pour écouter, mais aussi interroger, contester, proposer. Parce que la psychiatrie nous concerne tous. Parce qu’une société se mesure à la manière dont elle protège ses plus fragiles.

    Attention : places limitées !
    Réservez vite par :
    - chiensurlalune@free.fr
    - 09 55 21 38 37
    … ou en passant directement à la librairie (on adore les discussions impromptues).

    Partagez, relayez, parlez-en !




    « Une civilisation se juge à sa façon de traiter ses fous. » Lucien Bonnafé

  • Livre du Mois « L’Heure des Prédateurs – ou comment Giuliano d’Empoli nous pond un navet géopolitique entre deux cocktails à Bruxelles et NY

    Ah, Giuliano d’Empoli ! Cette lumière de l’édition contemporaine… Enfin, quand je dis « édition », je suis gentil. Disons plutôt « l’artisanat pamphlétaire pour bobos en mal d’auto-congratulation ». Son Mage du Kremlin ? Un pensum aussi subtil qu’un tract de supermarché, mais qui a fait jouir toute la petite bourgeoisie parisienne en quête de validation intellectuelle. En gros, Giuliano nous « révèle » que Poutine est… un méchant. Stupeur ! L’ex-agent du KGB serait en réalité un manipulateur cruel, un tsar sans cœur – bref, Ivan Drago version Poutine, prêt à écraser notre pauvre Rocky démocratique sous ses bottes totalitaires. Quelle audace ! Quelle perspicacité ! Surtout quand on sait que cette analyse profonde tient en trois clichés hollywoodiens et deux shots de vodka.

    Mais qui est donc ce génie ? Giuliano, fils d’Antonio – banquier, eurocrate et social-démocrate de salon –, né à Neuilly-sur-Seine (ce bastion ouvrier, bien sûr), vivant entre Paris, Bruxelles et Rome (la vraie vie du peuple, n’est-ce pas ?). Un homme du sérail, membre du think tank Volta, ce repaire de banquiers, de journalistes du Financial Times et de Tony Blair (oui, le Tony Blair, celui qui a sa place au tribunal de La Haye bien plus qu’à Davos). Bref, un pur produit de l’élite, mais qui joue les Cassandre pour épater la galerie.

    Et maintenant, son dernier chef-d’œuvre : L’Heure des Prédateurs. Un pamphlet aussi fin qu’un coup de marteau, où le monde se divise entre les gentils (nous, l’Occident, bien sûr) et les méchants (tous les autres). Les Russes ? Des ours sanguinaires. Les Chinois ? Des serpents venimeux. Les Iraniens ? Des scorpions. Et nous ? De doux lapins européens, trop naïfs pour ce monde cruel. L’Heure des Prédateurs est un pamphlet géopolitique ennuyeux et bon marché. Une collection d’essais censés être un « manuel » pour comprendre le monde. En bref : l’Occident lutte contre des prédateurs. Impossible de ne pas penser au film Predator, où Schwarzenegger combat un extraterrestre sanguinaire qui, une fois vaincu, active une bombe nucléaire. La valeur cinématographique de Predator équivaut à celle du livre de d’Empoli : nulle.

    Le plus drôle ? Cette obsession pour le « populisme » et « prédateurs Borgia , ce mot-valise qui sert à qualifier tout ce qui dérange le petit confort moral de Giuliano et ses amis. Trump ? Un fasciste . Poutine ? Un monstre. Musk ? Un diable (sauf quand il faisait rêver les bobos avec ses voitures électriques). Mais les guerres de l’OTAN, les bombardements « humanitaires », les millions de morts au Moyen-Orient, Afghanistan, Lybie, Syrie, Amérique du sud ? Silence radio. Gaza ? Jamais entendu parler. Pour D’Empoli ,ouest c’est des hippies armés de drones qui ne font la guerre que par amour des droits de l’homme.

    Et voilà le vrai talent de d’Empoli : écrire des livres aussi profonds qu’un tweet de BHL, mais avec la prétention d’un essai géopolitique. Son public ? Des bobos qui veulent se sentir intelligents en sirotant leur vin bio tout en approuvant les bombardements « pour la démocratie ».

    Alors oui, lisez d’Empoli. Pas pour apprendre quoi que ce soit, mais pour comprendre comment une élite déconnectée se raconte des histoires en se prenant pour les héros d’un film de propagande. Et surtout, gardez ce livre près de vous : il fera un excellent cale-pied quand l’apocalypse nucléaire (qu’ils ont tant contribué à provoquer) finira par arriver.

    Un pamphlet creux pour une élite creuse. Mais au moins, ça se lit vite – comme un faire-part de décès de la pensée critique

  • Soirée littéraire « La force du galet « 

    Nous avons le plaisir de vous convier à une soirée littéraire exceptionnelle le 24/05/2025, où les récits se déplieront comme des cartes secrètes, où chaque lecture sera un voyage. Mais attention : les places sont limitées, et l’enthousiasme déjà grandissant.

    📞 Inscriptions par téléphone : 09 55 21 38 37 // 06 80 89 70 23

    ✉️ Par mail : chiensurlalune@free.fr

    Dépêchez-vous – comme les héros des romans que nous aimons, le temps file, et les meilleures histoires se partagent à ceux qui osent saisir leur chance.

    À très vite, entre les lignes et au-delà.

    L’équipe de Chien sur la Lune

  • La vidéo de notre première Soirée Littéraire Lunaire avec l’incroyable Laurence Logiest-Chovaux !

    Cette soirée, la librairie était une arche. Chacun est arrivé avec ses souvenirs en bandoulière, et Laurence a tendu la main pour nous faire traverser. Entre deux verres de vin et des éclats de voix, quelque chose s’est passé : les morts ont murmuré entre les lignes, les vivants ont souri en écho.

    Est-ce le pouvoir des livres ? Ou simplement celui des cœurs qui battent au même rythme ?

    Une chose est sûre : personne n’est reparti comme il était arrivé !

    Désolés pour les imperfections techniques – on espère s’améliore nuit après nuit, comme un manuscrit qu’on retravaille. Merci d’embarquer dans cette aventure avec nous .

  • Richard Powers et l’océan : une symphonie littéraire et écologique

    Richard Powers « Un Jeu Sans Fin » Actes Sud »

    Richard Powers, écrivain américain de renom, nous a déjà comblés avec des romans magistralement écrits. Il est un virtuose de la narration, capable de transformer des sujets complexes en récits fluides et captivants, tout en mêlant émotion, érudition et une profonde connaissance de la nature. Dans ses œuvres, la science devient poésie, et la nature, un personnage à part entière. Powers est un ardent défenseur de l’environnement, utilisant sa plume pour éveiller les consciences sur les enjeux écologiques. Son dernier roman, * »Le Jeu sans Fin »* (traduction française de * »Playground »*), nous transporte sur l’île de Makatea en Polynésie française, un lieu qui devient le théâtre de destins croisés, où l’océan joue un rôle central.

    Dans ce roman, Powers nous invite à explorer un « terrain de jeu » métaphorique, où les vies d’un génie informatique, d’un océanographe et d’un plongeur passionné se mêlent à celle de l’océan lui-même. Ce dernier, avec ses abysses mystérieux, ses montagnes sous-marines et ses écosystèmes complexes, est bien plus qu’un simple décor : c’est le cœur battant de notre planète. Powers rappelle avec force que notre monde devrait s’appeler « océan » plutôt que « terre », car toute vie dépend de cette étendue bleue et de son équilibre fragile. À travers une prose cinématographique et des cliffhangers haletants, il dépeint la beauté et la vulnérabilité de cet écosystème, tout en dénonçant les violences infligées à la vie aquatique.

    Le « jeu » évoqué dans le titre est à la fois une métaphore de la vie et une critique de notre attitude irresponsable envers la planète. Nous voyons le monde comme un terrain de jeu, un espace créé pour notre divertissement, mais nous oublions trop souvent de le préserver pour les générations futures. Powers nous met en garde : l’océan, une fois libéré de notre présence, se régénérera en un clin d’œil. Mais serons-nous encore là pour en témoigner ? Ce roman est une ode à l’eau, à la vie et à la créativité infinie de l’océan, une force qui dépasse nos jeux éphémères et nos jouets technologiques. Une lecture essentielle pour les amoureux de la nature, de l’océan et des questions environnementales.

    Vous pouvez trouver ce livre à la librairie « Chien Sur La Lune ».

  • « L’Ange Pasolini » – Une plongée dans l’âme tourmentée d’un génie

    En cette année 2025, nous commémorons le 50e anniversaire de la mort de Pier Paolo Pasolini, une figure majeure du XXe siècle, dont l’œuvre et la vie continuent de fasciner et de provoquer. À cette occasion, Arnaud Delalande, Denis Gombert et Éric Liberge nous offrent « L’Ange Pasolini », une bande dessinée magistrale qui explore la vie et l’héritage de cet artiste hors du commun. Ce roman graphique, à la fois sombre et lumineux, est une véritable immersion dans l’univers complexe et contradictoire de Pasolini.

    Le récit commence là où tout s’achève : sur une plage d’Ostie, en novembre 1975, où Pasolini est brutalement assassiné. Cette mort violente, presque symbolique, sert de point de départ à une rétrospective de sa vie. L’ange qui apparaît alors devient le guide de cette introspection, interrogeant Pasolini sur les moments clés de son existence. Ce dialogue entre l’homme et l’ange donne une dimension presque mystique à l’œuvre, tout en restant ancré dans la réalité crue de la vie de l’artiste.

    Pasolini était un homme de paradoxes : marxiste et homosexuel dans une Italie conservatrice, poète et cinéaste, aimé et haï à la fois. La bande dessinée explore ces contradictions avec une finesse remarquable. On y découvre un homme tiraillé entre son engagement politique, sa sexualité, son amour pour la culture populaire et son rejet des conventions sociales. Les auteurs réussissent à capturer l’essence de Pasolini, sans jamais tomber dans le piège de la simplification.

    Le travail graphique d’Éric Liberge est tout simplement époustouflant. Son style, à la fois précis et expressif, donne vie aux émotions les plus intimes de Pasolini. Les pleines pages, souvent muettes, sont de véritables tableaux qui invitent à la contemplation. Les choix chromatiques, oscillant entre le noir et blanc et de rares éclats de couleur, reflètent parfaitement les contrastes de la vie de l’artiste. Chaque case est une invitation à plonger plus profondément dans l’âme tourmentée de Pasolini.

    À travers cette bande dessinée, les auteurs ne se contentent pas de raconter la vie de Pasolini ; ils nous invitent à réfléchir à son héritage. Qu’est-ce que signifie être un artiste engagé aujourd’hui ? Comment concilier art et politique, liberté et contraintes sociales ? Ces questions, posées par Pasolini de son vivant, résonnent encore aujourd’hui avec une force intacte.

    « L’Ange Pasolini » transcende la simple biographie en images. C’est une œuvre profonde, grave, qui interroge autant qu’elle émeut. À travers le prisme de la vie et de la mort de Pasolini, les auteurs nous confrontent à des questions essentielles : la place de l’artiste dans une société hostile, le poids des contradictions intimes, et le prix de la liberté créatrice.

    BD disponible à la librairie Chien Sur La Lune

    L’évangile selon Saint Matthieu disponible à la librairie en Bleu Ray

    Né le 5 mars 1922 à Bologne, Pier Paolo Pasolini est l’une des figures les plus marquantes de la culture italienne du XXe siècle. Poète, écrivain, cinéaste et intellectuel engagé, il a marqué son époque par son œuvre protéiforme et ses prises de position souvent controversées.

    Après une jeunesse marquée par la Seconde Guerre mondiale et la mort de son frère Guido dans la résistance, Pasolini s’installe à Rome dans les années 1950. Il y découvre les quartiers populaires, qui deviendront une source d’inspiration majeure pour ses romans, comme « Ragazzi di vita » (1955).

    Dans les années 1960, il se tourne vers le cinéma, réalisant des films qui mêlent réalisme et poésie, comme « Accattone » (1961) et « L’Évangile selon saint Matthieu » (1964). Ses œuvres, souvent critiques envers la bourgeoisie et la société de consommation, lui valent à la fois l’admiration et la réprobation.

    Homosexuel assumé et marxiste convaincu, Pasolini a toujours été une figure marginale, en décalage avec les normes de son époque. Son dernier film, « Salò ou les 120 Journées de Sodome » (1975), reste l’une de ses œuvres les plus choquantes et les plus discutées.

    Le 2 novembre 1975, Pasolini est assassiné sur une plage d’Ostie, dans des circonstances jamais totalement élucidées. Sa mort violente a contribué à en faire une icône, dont l’œuvre continue d’influencer et de provoquer des débats passionnés.

  • Un père ordinaire, une bestialité extraordinaire 

    Un père ordinaire : Sur les traces d’Alfred Douroux, de la LVF et de la Waffen SS

    Hélas, je n’ai plus aucun grand-père en vie, mes parents ne sont plus de ce monde non plus. Personne dans ma famille n’a collaboré avec l’occupant, ni avec les collaborateurs locaux. Bien sûr, en tant que peuple slave, nous étions sur une liste courte pour l’esclavage ou l’extermination physique, ce qui rendait impossible toute sympathie envers le Troisième Reich. Mon grand-père a participé aux grandes manifestations à Belgrade contre le gouvernement qui avait signé un pacte avec Hitler. Quelques jours plus tard, ce gouvernement fut renversé par un coup d’État, et le peuple serbe scanda à travers toute la Serbie : « Plutôt la tombe que l’esclavage ! » Le 7 avril, les avions de la Luftwaffe rasent Belgrade. Pour la deuxième fois en moins de cinquante ans, le peuple serbe est attaqué par la puissante Wehrmacht, et l’armée royale est vaincue en une dizaine de jours. À Belgrade, les premiers camions à chambres à gaz sont testés sur les Juifs locaux, les communistes serbes et les malheureux Roms. En moins de quelques mois, les communistes et les patriotes serbes déclenchent un soulèvement contre l’occupation allemande et mènent une guerre de partisans courageuse contre les Allemands et les collaborateurs. Plusieurs membres de ma famille prirent part dans le soulèvement et ont combattu dans les rangs des partisans. Pour la deuxième fois en moins de cinquante ans, le pays est libéré par le combat héroïque du peuple serbe et des autres peuples yougoslaves. Les Allemands et les traîtres sont chassés du pays.  C’est pourquoi je suis toujours glace par le dégrée de collaboration et fanatisme de fascistes vichistes de France .

    Le livre dont je vais vous parler traite des Français qui ont combattu sous l’uniforme SS en Biélorussie, et qui ont commis des atrocités inhumaines contre les Russes, les Biélorusses, les Ukrainiens et les Juifs. Ces hommes étaient les derniers fanatiques à défendre Hitler à Berlin, jusqu’au dernier moment. Pour moi, cette haine profonde, ce racisme et cette volonté de domination des fascistes français restent incompréhensibles, même aujourd’hui. 

    Ce livre est un voyage intime dans le passé de Philippe Douroux, qui a toujours su que son père était un fasciste, nazi  ayant combattu pour les « valeurs européennes », contre les « barbares de l’Est » et les « judéo-bolcheviks » qui détruisaient le tissu social et notre « glorieuse civilisation blanche » . Dans cet ouvrage, Philippe D. révèle les horreurs de la guerre à l’Est, en Biélorussie, où des paysans et des Juifs innocents tombent sous la botte de l’unité SS  Charlemagne. Et pas seulement sous la botte, mais aussi sous le couteau, la balle et la brutalité. Car, malheureusement, ces « combattants pour l’Europe et la fraternité franco-allemande » n’étaient pas seulement des anticommunistes, mais aussi des meurtriers sanguinaires, des sadiques, des vampires assoiffés du sang des Biélorusses et du peuple soviétique (principalement des Russes, des Biélorusses et des Juifs soviétiques). Beaucoup d’entre eux ne se contentaient pas de tuer les « Untermenschen » slaves et les « judéo-bolcheviks », mais ont ensuite participé à des expéditions punitives contre la Résistance en France. Après la guerre, ils se sont révélés utiles en Algérie et au Vietnam. En Biélorussie, ils ont appris de leurs frères SS la technique de la guerre totale contre les plus faibles : femmes, enfants, bébés. Ils ont appris à violer, égorger et abattre de manière efficace, car leur courage était bien sûr à son apogée face aux vieillards, aux enfants et aux femmes. Face à l’Armée rouge, leur puissance était bien moins visible. À tel point que les Allemands les ont relégués à l’arrière, où ces « patriotes » se sont révélés être d’excellents tueurs d’enfants et de grands-mères… 

    Ce livre est une collection de témoignages et de documents historiques qui empêchent l’oubli des crimes de ces bêtes. Après la guerre, la plupart de ces « héros » sont restés impunis. Quelques-uns ont passé quelques mois en prison, deux ou trois ont été fusillés. Tous les autres ont trouvé une vie paisible après la guerre, continuant à glorifier « leur combat contre le bolchevisme » et à expliquer comment le complot communiste mondial avait inventé les 26 millions de morts en Union soviétique et les camps de concentration. Sobibor, Treblinka, Belzec, Auschwitz ne sont, selon leurs témoignages, que des « détails de l’histoire ». La négation a atteint un tel point aujourd’hui, grâce à Giscard et aux nouveaux « philosophes » des années 80, que le martyre de l’URSS est désormais mis sur le même plan que la souffrance des Allemands pendant la guerre. Que les criminels et les monstres sont présentés comme des « combattants » contre le communisme. Ce livre explique à plusieurs reprises comment cela a pu arriver. Il mérite une lecture sérieuse et des recherches supplémentaires sur les crimes des SS « français ». Philippe D. n’a fait qu’effleurer la surface de l’horreur commise au nom de la « Grande Nouvelle Europe » par les Français, les Italiens, les Belges, les Néerlandais, les Finlandais, les Norvégiens, les Roumains, les Hongrois et les Ukrainiens, en alliance avec le « fraternel » Reich millénaire.  Ces « patriotes » français, formés dans l’idéologie nazie et ayant appris les techniques de répression brutale en Biélorussie, ont ensuite réutilisé ces méthodes lors des guerres coloniales, notamment en Indochine et en Algérie. Leur expérience dans la guerre totale contre les civils, acquise sous l’uniforme SS, a été mise à profit pour écraser les mouvements indépendantistes.

    En Indochine, lors de la guerre contre le Việt Minh (1946-1954), les forces françaises ont employé des tactiques de terreur inspirées de celles utilisées en Europe de l’Est. Des villages entiers étaient rasés, des civils torturés ou exécutés sommairement, et des techniques de contre-insurrection brutales étaient appliquées pour tenter de briser la résistance vietnamienne. Les exactions commises, comme les massacres de civils, rappellent tristement les crimes perpétrés en Biélorussie.

    En Algérie, pendant la guerre d’indépendance (1954-1962), ces méthodes ont été poussées à leur paroxysme. Les militaires français, dont certains avaient servi sous Vichy ou dans les rangs de la collaboration, ont systématiquement recouru à la torture, aux exécutions extrajudiciaires et aux déplacements forcés de populations. Des villages étaient bombardés, des suspects torturés pour obtenir des informations, et des civils massacrés dans des opérations de « pacification ». Le massacre de Melouza en 1957, où des centaines de civils algériens ont été tués, ou encore la bataille d’Alger, marquée par une répression impitoyable, témoignent de cette continuité dans les pratiques de violence extrême.

    Ces guerres coloniales ont ainsi servi de terrain d’application pour des techniques de répression héritées de la Seconde Guerre mondiale, montrant comment les crimes commis au nom de l’idéologie nazie ont laissé une empreinte durable dans les pratiques militaires et policières françaises. Cette sombre continuité historique souligne l’importance de ne pas oublier les origines de ces méthodes et leurs conséquences dévastatrices.

    L’un de ces « patriotes » forçait les villageois à creuser des fosses où ils étaient entassés comme des sardines et abattus d’une balle dans la nuque. Lorsque cette bête trouvait un bébé à moitié vivant, il l’abattait d’une balle dans la tête, éliminant ainsi un « judéo-bolchevik » potentiel. Le livre est rempli de ces témoignages effroyables. Des dizaines de milliers de villages en Biélorussie, en Ukraine et en Russie ont été rayés de la carte, leurs habitants brûlés vifs dans les églises ou abattus… Plus d’une fois, j’ai dû poser le livre pour reprendre mon souffle. Cet ouvrage reste un avertissement, un rappel de ce que signifient le fanatisme et la croyance aveugle en la justesse d’une « cause ». Mais il montre aussi à quel point le monde occidental a la mémoire courte, ayant très vite oublié la tragédie de la Seconde Guerre mondiale. Pire encore, il a transformé les victimes en coupables et les coupables en victimes. Ce livre est une pilule contre l’oubli, amère mais nécessaire. 

    Disponible à la librairie Chien Sur La Lune .

  • Istanbul en Bulles

    L’Âme d’une Nation à travers les Yeux d’un Artiste Rebelle involontaire

    Quelle bande dessinée, mes amis de la librairie « Chien Sur La Lune ! Il y a longtemps que je n’avais pas lu une œuvre aussi captivante. Riyad Sattouf et Marjane Satrapi peuvent faire leurs valises et abandonner l’idée de la bande dessinée biographique. « Ersin is in the house » », et tout va basculer. Cet auteur, en deux tomes (et nous attendons impatiemment le troisième), nous plonge dans la Turquie des années 80, 90 et 2000, jusqu’en 2017. Avec lui, nous grandissons, nous mûrissons, et suivons le parcours d’un artiste adulte sur les rives du Bosphore. Le Bosphore, où les vagues de la géopolitique agitent les plaques tectoniques de ce pays immense, crucial et magnifique, qui oscille entre deux continents, deux visions du monde . Nous faisons la connaissance d’Ersin, non pas comme un héros, un combattant, un Turc intrépide, mais comme un jeune homme effrayé qui, avec une sincérité désarmante, participe à l’écriture de l’histoire de son pays.

    Tout commence avec Tintin, Astérix et Superman, quand Ersin, passionné de bandes dessinées depuis son plus jeune âge, découvre le pouvoir de l’art à travers ces œuvres intemporelles. Ersin dessine merveilleusement bien, et c’est bien plus qu’un simple passe-temps pour lui. Jusqu’au jour où il décide de devenir ingénieur. Cette décision d’abandonner l’art pour se consacrer à des études « sérieuses » fera de lui un artiste. Étant un élève médiocre, l’école d’ingénieurs ne lui réussit pas, et pendant que le pays change de jour en jour – coups d’État, terrorisme, bouleversements politiques – Karaboult puise dans tout cela une force et une créativité gigantesques. Courageusement, il se met à dessiner et à vendre ses courtes bandes dessinées à des journaux satiriques qui, à cette époque, poussent comme des champignons après la pluie. Très vite, il devient dessinateur et en vit. Les changements politiques en Turquie coïncident avec la création du journal satirique « L’Insomniaque », avec lequel Ersin deviendra un dessinateur culte de la Turquie moderne. Mais cela l’entraînera aussi dans le tourbillon de l’histoire contemporaine turque, dans une lutte involontaire mais sincère contre l’autoritarisme d’Erdogan. Le diable emporte vite la plaisanterie, car le pays sombre dans l’islamisation et l’instabilité politique durant la deuxième décennie du XXIe siècle. « L’Insomniaque » devient la voix satirique de la jeunesse turque, un point de ralliement pour l’opposition citoyenne  face à la montée du conservatisme.

    Ce qui est merveilleux dans l’univers d’Ersin, c’est l’absence totale de malveillance et de mensonge. Ersin ne cache pas qu’il a peur, qu’il est terrifié par la situation. Il n’a pas de courage surhumain ni de sens du sacrifice, mais il est un scribe sincère qui, malgré lui, aime se moquer. Il provoque en respirant, et ensuite, il panique. Cela donne un ton incroyable à cette superbe bande dessinée, ainsi qu’une drôlerie particulière. Il est impossible de décrire la qualité et l’originalité des dessins, l’authenticité et la beauté organique qu’Ersin parvient à nous transmettre de cette ville (pour moi) la plus belle du monde : Istanbul. Mais aussi son talent caricatural – tout le monde en prend pour son grade, les progressistes, les conservateurs, les islamistes, et même les artistes ratés et lâches.

    Que dire de plus, sinon de vous plonger dans le Bosphore, de vous perdre dans les ruelles de Beyoğlu, ce quartier bohème rempli de belles filles et de beaux garçons (car les Turcs sont généralement un peuple beau), de rencontrer Ersin et sa joyeuse troupe de caricaturistes, de participer aux manifestations contre le « sultan » et de boire des larmes de rage pleins de gaz lacrymogène . La Turquie est une folie, mais aussi une douce mélancolie (« hüzün »). Ayez peur d’une guerre civile, et buvez une bière Effes en compagnie de la jeunesse turque. Cette bande dessinée est pleine de force et de finesse orientale.

    La Turquie, sous l’ère Erdogan, est un pays en pleine mutation. Depuis son arrivée au pouvoir en 2003, Recep Tayyip Erdoğan a profondément transformé le pays, oscillant entre modernisation économique et retour à un conservatisme religieux. Son règne, marqué par des succès électoraux répétés, a aussi été ponctué de controverses : répression des médias, arrestations massives après le coup d’État manqué de 2016, et un autoritarisme croissant qui a divisé la société turque. L’opposition, bien que fragmentée, continue de se battre pour préserver les vestiges de la laïcité kémaliste, tandis que la jeunesse turque, à travers des mouvements comme ceux soutenus par « L’Insomniaque », cherche à redéfinir l’identité du pays.

    « Journal Inquiet D’Istanbul  » est bien plus qu’une bande dessinée : c’est un voyage intime à travers l’âme d’un pays en pleine tourmente, une ode à la résilience et à l’humour face à l’adversité. C’est une œuvre qui mérite d’être découverte pour sa beauté, son audace et sa sincérité. Alors, plongez-vous dans ce récit, laissez-vous emporter par les rues d’Istanbul, et découvrez pourquoi cette bande dessinée est un trésor dessiné à ne pas manquer.

  • Epépé « Dans les Méandres de l’Incompréhension »

    Livre de la semaine

    Ferenc Karinthy est né le 29 février 1921 à Budapest. Fils de Frigyes Karinthy, écrivain de génie (auteur de « Voyage autour de mon crâne »), et d’Anna Bohm, psychiatre et psychologue, qui disparut dans les crématoires d’Auschwitz. Ferenc fut un dramaturge, écrivain, chroniqueur, traducteur et linguiste hongrois renommé, ainsi qu’un excellent joueur de water-polo. Un homme aux qualités et talents exceptionnels. C’est pourquoi son roman « Epépé » est le livre de la semaine » dans notre petite librairie.

    Malheureusement, la littérature hongroise est très peu connue en France. Ce pays, situé au cœur de l’Europe, autrefois un grand empire, a engendré une littérature, poésie et, plus généralement, art et culture d’une richesse exceptionnelle. Leur particularité et leur relative fermeture culturelle, ainsi que leur crainte de la germanisation, ont fait des Hongrois, Magyars un peuple très distinct sur notre continent. Un continent, ou plutôt une petite péninsule de l’immense masse terrestre asiatique, où nous nous comprenons généralement car nos racines culturelles sont gréco-latines, avec des références communes, des imbrications culturelles et historiques. La Hongrie n’est pas totalement exclue de ces connexions, mais on peut dire que sa langue la rend tout à fait unique dans l’histoire européenne. Bien qu’ils soient un peuple typiquement centre-européen, leur langue et leurs origines centrasiatiques, les rendent particuliers en Europe. Cela se ressent profondément dans leur littérature, profondément originale, singulière et, comme on le dit souvent, majestueuse.

    Le roman de Ferenc est unique : il explore la langue comme outil d’échange et de communication. Mais si son principe semble simple, la compréhension ne l’est pas. Comment communiquer quand la langue de l’autre est totalement étrangère, sans aucun repère culturel ou linguistique ? Le roman commence par le voyage de Budai, un linguiste renommé, se rendant à un congrès de linguistique à Helsinki (quelle coïncidence, un autre pays avec une langue rare et étrange). L’avion atterrit dans une mégalopole polluée, bruyante, chaotique, surpeuplée d’humains et de voitures… Budai perd ses bagages, ses documents, et dans un chaos indescriptible, il réalise qu’il n’est pas à Helsinki. Ni lui ni nous, lecteurs, ne savons où il est. Tout ressemble à notre civilisation, à nos mégalopoles oppressives, tout semble familier mais ne l’est pas. Et surtout, la langue, malgré ses connaissances polyglottes et linguistiques, Héro de Karinthy ne parvient pas à la comprendre, pas même le plus petit pronom, le verbe le plus courant, ou un nom. Aucune trace de grec, de latin, des langues slaves ou d’anglo-saxon, nordique. Une fois plongé dans ce tourbillon, une sentiment nauséabonde, angoissant accompagne ce roman sombre et original, un véritable chef-d’œuvre. Bien sûr, Kafka, Zamiatine nous viennent à l’esprit tandis que nous voyageons à travers ce cauchemar linguistique, décrit avec maestria par Ferenc Karinthy.

    Ce roman dérangeant est une métaphore parfaite de notre capacité exceptionnelle à ne pas comprendre l’autre. La multicouches de cette œuvre est incroyable : entre la chronique absurde d’un linguiste qui ne comprend pas et ne peut apprendre la langue de l’autre, se déploient des thèmes universels profonds : qu’est-ce que la langue ? À quoi sert-elle ? Que signifie communiquer ? L’atmosphère oppressante, humide et visqueuse d’une ville sans fin, surpeuplée, ajoute à l’angoisse, provoquant en nous un profond malaise. L’impuissance face à cette situation d’incompréhension, et la machine écrasante de la mégalopole qui broie les êtres humains comme un moulin, ajoutent à l’angoisse et à la peur, un niveau supplémentaire de folie, de chaos et d’horreur. Ferenc Karinthy a écrit un chef-d’œuvre, sans se perdre dans des futurs imaginaires et sombres, souvent qualifiés de « dystopies » ou « uchronies ».

    Le roman de Ferenc Karinthy, « Epépé », s’inscrit dans une tradition littéraire qui explore les limites de la communication et les absurdités de la bureaucratie et de la modernité, des thèmes chers à Franz Kafka et à Ievgueni Zamiatine. Comme dans « Le Procès » de Kafka, où Josef K. est confronté à un système judiciaire incompréhensible et oppressant, Budai, le protagoniste de « Epépé », est plongé dans un univers où la langue, outil fondamental de communication, devient une barrière insurmontable. Cette incompréhension linguistique reflète l’aliénation de l’individu face à des structures sociales et bureaucratiques qui le dépassent, un thème central dans l’œuvre de Kafka.

    De même, Zamiatine, dans « Nous autres », dépeint une société dystopique où la langue et la pensée sont contrôlées pour maintenir l’ordre et supprimer l’individualité. Dans « Epepe », bien que le contexte ne soit pas explicitement dystopique, l’incapacité de Budai à comprendre la langue de la mégalopole évoque une forme de dystopie linguistique, où l’échec de la communication symbolise l’échec de la connexion humaine dans un monde de plus en plus fragmenté et déshumanisé.

    Ainsi, « Epépé » de Ferenc Karinthy s’inscrit dans une lignée littéraire qui interroge les fondements de la communication et de l’identité humaine, tout en offrant une réflexion profonde sur les défis de la modernité. À travers l’absurdité et l’angoisse, Karinthy, comme Kafka et Zamiatine avant lui, nous invite à réfléchir sur notre propre capacité à comprendre et à être compris dans un monde de plus en plus complexe et déroutant.

    Disponible à la librairie Chien Sur La Lune .