Catégorie : Conseil

  • Il n’y a pas besoin d’en faire tout un fromage

    Ah, bien sûr ! Nous vivons assurément à une époque étrange et fascinante. Et vous savez ce que dit le vieux proverbe chinois ? « Puissiez-vous vivre à une époque intéressante. » La révolution technologique bat son plein, avec cette chose qu’on appelle l’IA (ou l’appareil à fabriquer des photos où les gens ont huit doigts, parce que visiblement, la symétrie est surcotée), les robots, les stations-service dotées d’écrans où, pendant que vous faites le plein, vous pouvez vous délecter de publicités soporifiques. Des inventions révolutionnaires qui simplifient notre vie, comme le banquier à distance : vous êtes loin et faites son travail, pendant qu’il utilise son temps libre pour surfer sur Internet et gonfler vos frais bancaires, peut-être en appelant parfois papa et maman pour savoir ce qu’il y aura au déjeuner dominical. Ces services distants sont parfaitement interchangeables, car chacun fonctionne sur le même principe : déléguez au client le travail pour que vous travailliez moins et que votre entreprise économise sur les guichets superflus, les bureaux, la courtoisie et les services. Le progrès, mes amis, n’a décidément pas de limites.

    Les scientifiques, quant à eux, avancent à grands pas dans leurs recherches ; la découverte qu’un homme politique français est neurologiquement incapable d’empathie, de service public, de relations normales avec ses concitoyens, d’honnêteté et de probité judiciaire prouve que la médecine moderne peut tout expliquer, sauf peut-être pourquoi les chats préfèrent les boîtes en carton. Les influenceurs, les vendeurs en ligne, les réseaux sociaux, les vêtements « intelligents », les montres, les balais, les brosses, les cuillères, les pelles, les citrouilles, les casseroles, les réfrigérateurs… Tout cela fait partie de cette réalité incroyable, ou hyper-réalité, que nous offre la modernité quotidienne. Un peu comme si le monde avait été conçu par un committee de marmottes sous LSD.

    Mais comment en sommes-nous arrivés au fromage ? Et est-ce que quelque chose pue dans toute cette affaire ? John Scalzi a peut-être justement sauté sur cette idée : nous vivons dans un monde plus ou moins biscornu où presque plus rien ne peut nous surprendre, ou presque. Et si notre chère Lune se transformait en fromage ? Mais pour de vrai ! Dans son roman, notre astre nocturne bien-aimé se métamorphose en le mets préféré des Français*. Ce qui semble totalement absurde et impossible, Scalzi l’a pourtant réussi : transformer une histoire invraisemblable en un roman de science-fiction diablement spirituel et hilarant. Les faiblesses humaines, l’illogisme crasse et les contradictions de « l’homme », les décisions absurdes et frivoles dans des moments critiques, la bêtise et la niaiserie de l’humanité sont ici élevées au rang d’art. Scalzi est une vraie trouvaille, comme une Lune lactée – grâce à une recommandation d’un client, j’ai savouré et ri aux éclats en lisant ce joyeux roman apocalyptique « non pasteurisé ».

    À un niveau plus profond, cette histoire soulève des questions sur la perception du monde, notre vision des choses et l’élasticité de la réalité en ces temps complètement timbrés. Scalzi nous divertit jusqu’au bout, jusqu’au dernier morceau de fromage, mais avec une intrigue si absurde qu’elle parvient à tisser un discours raffiné sur nos travers et illogismes. Et tout cela avec du goût, de l’odeur, de la texture – spoiler alert : la Lune n’est pas un fromage français, dommage, car imaginez les possibilités pour les apéros spatiaux !

    Quoi qu’il en soit, dépêchez-vous de découvrir ce roman jubilatoire. Et où mieux que dans notre librairie lunaire, Chien Sur La Lune ? Pour l’instant, aucune odeur suspecte chez nous… enfin, presque.


    *Note : Si jamais cela arrive, préparez-vous à des débats passionnés sur l’appellation d’origine contrôlée. La Lune serait-elle un Brie ou un Camembert ? Les questions qui comptent, voyez-vous.

    ÉDITIONS ATALANTE

    22.40 €

  • Billet aller-retour pour la jeunesse

    Mes petits pieds nus s’enfoncent dans l’asphalte brûlant d’une petite ville à une cinquantaine de kilomètres de la capitale. La journée est continuellement et terriblement chaude. Avec quelques amis, nous sautillons vers la piscine municipale. Le soleil de juillet, puissant et gigantesque, est là pour nous rappeler que nous sommes des « Chasseurs d’été », rendant chaque instant de cet été essentiel et irremplaçable. Aussi ordinaire, banale et quotidienne que soit la vie dans cette bourgade endormie, cachée à l’ombre des jardins, des appartements aux stores baissés, des terrasses de cafés, pour nous, elle est unique, excitante et magnifique. Nous avons chassé l’été comme tant de générations avant nous, et après nous. La douce sensation d’insouciance et de quasi-immortalité nous donnait de la joie et du bonheur, oh, combien rares ces émotions dans la vie adulte !

    Soufiane Khaloua a réussi à décrire cela à la perfection. La ville provinciale tranquille, les gamins, le quotidien, les petites et grandes inquiétudes, les petits et grands moments de l’enfance et de la jeunesse. Ramadan, Paul, Nelson, Julien et l’étrange mais ô combien familier ami mystérieux Naka (que nous avons tous connu à un moment donné) ne sont pas des stéréotypes, mais des figures lumineuses de chasseurs, érigées comme de magnifiques statues en l’honneur de l’enfance, de la croissance, de la jeunesse et de son unicité.

    Le style et l’écriture de Soufiane sont lumineux, agréables, le livre se lit avec plaisir. Ce roman porte en lui ce que nous avons tous vécu. Mais rarement eu la volonté de nous en souvenir. Combien « chasser l’été » est un exploit noble, tout comme la jeunesse qui n’est pas seulement « drogue », « violence », « insolence » (merci aux médias nationaux pour cette magnifique image de notre jeunesse) mais la partie la plus poétique, la plus romanesque de nos vies.


    Ce roman est une caresse littéraire, un écho doux-amer des jours où le temps semblait s’étirer à l’infini. Khaloua, tel un archéologue des âmes, exhume les trésors oubliés de nos étés passés, nous offrant un refuge où la nostalgie se mêle à l’émerveillement. Pour qui cherche à retrouver la lumière fugace de l’adolescence, « Chasseurs d’été » est une invitation à ralentir, à respirer ces souvenirs comme un parfum d’été qui jamais ne s’évapore.

    Monter dans un train qui va à reculons et nous ramène vers la jeunesse est un véritable plaisir, un grand merci à Soufiane Khaloua pour le billet de train et la possibilité de retourner dans ces quelques moments brûlants.

  • L’Appel des Trottoirs : L’Odyssée Brisée de Sorj Chalandon

    Cela fait près de douze ou treize ans que j’ai découvert Sorj Chalandon avec Quatrième mur. Depuis, ses romans sont devenus pour moi une sorte de nécessité. Comme une activité agréable et régulière — natation, cours de langue, chorale —, ses livres s’imposent sans être pour autant des chefs-d’œuvre prétentieux ou de lourds traités intellectuels. Les romans de Chalandon sont dynamiques, rapides, nerveux (dans le bon sens du terme), et résolument radicaux. Ils ont toujours quelque chose de cinématographique, avec des retournements inattendus, tout en restant accessibles, bien construits et faciles à lire.

    Son nouveau roman, Livre de Kells, est une œuvre autobiographique — la troisième, si je ne m’abuse. L’auteur y poursuit le récit de sa vie. Nous suivons Chalandon encore mineur, sur la route de Paris — une simple étape avant Katmandou, ni plus ni moins ! Après avoir rompu avec le foyer parental — et notamment avec « l’autre », son père, et sa mère (je vous invite à lire ses deux précédents romans autobiographiques, « Profession du père » et « L’enfant de salaud« , disponibles dans notre librairie) —, le jeune Sorj se retrouve à Paris. Mais cette ville, qu’il ne devait que traverser, se transforme en un labyrinthe sans issue : pauvreté, errance, quête désespérée de chaleur, de nourriture, bref, d’un toit.

    Une rencontre fortuite va pourtant l’arracher à la rue, à l’aiguille, à la bouteille, et à une fin tragique dans l’un des sombres passages de la « ville lumière ». Qui sont ces personnes, ce groupe qui lui tend la main ? Comment ce jeune homme a-t-il trouvé sa voie et réchappé de l’extrême précarité ? Vous le découvrirez dans Livre de Kells.

    Ce livre se dévore, s’absorbe plus qu’il ne se lit. Chalandon a ce talent rare de captiver son lecteur sans jamais l’ennuyer. Les pages s’enchaînent comme les trottoirs de Paris, comme ce mouvement vital qui permet d’oublier le froid, la faim, la tristesse et la solitude. Quiconque a connu, ne serait-ce qu’une fois, la précarité, l’impasse, la honte de la misère, se reconnaîtra dans ces pages. Un autre grand « millésime » de Chalandon : 1970, une année de mauvais vin, de galère, mais également le moment décisif d’un choix, d’une volonté de vivre et se battre , et d’un salut possible.

    À lire absolument.

    Retrouvez Livre de Kels et les autres œuvres de Sorj Chalandon dans votre librairie préférée : Chien Sur La Lune.

    EDITIONS Grasset 23€

  • Renaître par la Beauté

    Dans un monde de médiocrité et de pacotille, à une époque où même la réalité nous échappe et où la vérité, la loi, ne sont que des formes relatives, il est rare de trouver des écrivains contemporains alliant profondeur, talent et la volonté de façonner le beau et l’harmonie. Le Japon, souvent fantasmé par nous, Européens, comme un lieu de paix, de raffinement et d’élégance — où l’ikebana, la cérémonie du thé, le haïku, Hokusai, sont devenus ses symboles —, cache une histoire sombre et cruelle. On oublie trop facilement les millions de Chinois, de Coréens, de Philippins, disparus sous la botte de l’impérialisme japonais. C’est pourquoi, chez les auteurs japonais, j’ai toujours trouvé ces deux facettes : harmonie et chaos, ténèbres. Certains — possèdent cette approche onirique, pudique et élégante de l’écriture. Alors, quand je me suis plongé dans le dernier ouvrage de Mizubayashi, je partais de cette attente. Et, bien sûr, il ne m’a pas déçu : ce livre est une beauté condensée, une harmonie au cœur d’un monde en flammes.

    Tokyo, décembre 1944. Employé dans un centre de tri postal, Ren Mizuki y rencontre deux étudiants partageant sa passion pour la culture et l’art européens : Yuki, qui deviendra sa compagne de vie, également peintre, et Bin, violoniste promis à une carrière internationale, qui restera à jamais son frère de cœur.
    En 1945, Ren est envoyé en Mandchourie, dans l’enfer des combats. Mutilé, meurtri, il revient persuadé qu’il ne pourra plus jamais tenir un pinceau. Yuki lui offrira tout l’amour et la passion possibles pour l’aider à surmonter l’insurmontable.

    La double culture d’Akira est l’atout de cet auteur. Sa passion et sa connaissance profonde de la « culture européenne » se reflètent à chaque page de ce roman. Sa maîtrise somptueuse de la langue française est un atout supplémentaire. Et les quatuors de Beethoven accompagnent notre lecture : si vous le pouvez, mettez la Cavatine du Quatuor à cordes n°13 de Beethoven sur votre gramophone. Il est incroyable de voir comme « maître Mizubayashi » a merveilleusement entrelacé le mot, la note et la trace du pinceau sur la toile.

    Ce roman est une histoire d’amour, mais pas de ces amours sentimentales, modernes et superficielles. Cette œuvre décrit un amour réel, presque métaphysique, qui transcende le mal, la guerre, la souffrance. Un livre qui guérit, apaise, caresse et fait renaître.

    Retrouvez ce livre sur nos étagères à la librairie Chien Sur La Lune.

    GALLIMARD 21€

  • La souffrance palpable

    Le roman brut de Sapin-Defour

    Cédric Sapin-Defour naît en 1975 à Saint-André-des-Vergers et grandit au gré des mutations de ses parents, enseignants d’EPS, ce qui l’immerge très tôt dans les activités de pleine nature. Sa passion pour la montagne éclôt à huit ans, lors d’une découverte de Chamonix. Après des études de médecine abandonnées en quatrième année, il devient à son tour professeur d’EPS, consacrant son temps libre à l’alpinisme, l’escalade, le ski de randonnée et le parapente. Installé à Arêches dans le Beaufortain depuis 2005 avec son épouse Mathilde, il partage une vie nomade, souvent rythmée par les voyages en van aménagé à travers les montagnes d’Europe. Depuis 2023, il est en disponibilité de l’Éducation nationale pour se consacrer à l’écriture et à l’aventure.

    Auteur prolifique, Sapin-Defour publie d’abord des essais sur l’alpinisme, comme « Le Dico impertinent de la montagne » (2014) ou « Gravir les montagnes est une affaire de style » (2017), explorant les liens entre nature, humanité et quête de sens. Son roman « Son odeur après la pluie » (2023), récit poignant du deuil de son chien Ubac, connaît un succès foudroyant avec plus de 700 000 exemplaires vendus, plusieurs prix littéraires, et des adaptations en bande dessinée, théâtre et cinéma. En 2025, il publie « Où les étoiles tombent », inspiré de l’accident de parapente de sa compagne Mathilde, un témoignage brut sur la fragilité et la reconstruction.

    Après « Son odeur après la pluie », Cédric Sapin-Defour nous revient avec « Où les étoiles tombent », un deuxième roman qui confirme son talent pour saisir les nuances de la condition humaine. Cette fois, le thème central est à nouveau la perte et la tristesse, mais aussi la volonté farouche de vivre et la reconstruction. Le livre est d’une intensité rare, radicalement ardue. La souffrance y est décrite de manière organique, corporelle, presque chimique ; elle n’est pas seulement étouffante pour l’âme, mais aussi physiquement palpable. Chaque instant devient une question de vie ou de mort, si bien qu’à la lecture, la mort est omniprésente, comme tapie dans l’ombre, attendant son heure, tandis que les protagonistes lui ont échappé de justesse, à quelques millimètres près.

    L’histoire, bien que simple, est construite avec une ingéniosité remarquable. Le temps dans le roman s’écoule de manière épuisée, étrange, et c’est précisément cet aspect qui lui confère une force narrative exceptionnelle, une dynamique singulière et envoûtante. Ceux qui ont aimé « Son odeur après la pluie » se sentiront irrésistiblement attirés par ce nouvel opus. Si vous n’avez pas peur de la « chute », si vous croyez encore à l’élan et au sursaut après l’effondrement, alors embarquez avec Cédric Sapin-Defour pour ce voyage difficile, profondément humain.

    À l’image du mythe d’Icare et Dédale, où la chute n’est pas une fin mais l’audace d’avoir tenté l’envol, ce roman souffle un vent d’espoir : celui de renaître, plus sage et plus fort.

    Disponible à la librarie Chien Sur La Lune

    Editions Stock 22€50

  • « Kairos » de Jenny Erpenbeck Le tsunami du temps

    Le dernier roman de Jenny Erpenbeck est une vague gigantesque qui dévore la côte et l’intérieur des terres. Chaque instant annonce la catastrophe, intérieure et extérieure. Comme à l’accoutumée, tout est recouvert d’une bonace, d’un mouvement presque imperceptible, quelques cercles concentriques apparaissant çà et là à la surface autrement calme de l’eau. Tout cela n’est qu’illusion, tout cela ne signifie ni paix ni équilibre, car la vague part du large, mue par les mouvements de la tempête, les perturbations tectoniques qui provoquent le plissement de l’écorce terrestre ; les séismes sont imperceptibles depuis le rivage (ou quelque secousse commence à provoquer des fissures dans les bâtiments, dans les vies). La mer se retire, et la vague géante est inexorable — tôt ou tard, elle frappera la côte de sa force titanesque.

    Katharina, étudiante de 19 ans, et Hans, écrivain de 53 ans, marié et père d’un jeune garçon, se rencontrent par hasard le 11 juin 1986 à Berlin-Est. En surface, nous vivons la passion de ce couple « impossible » dans un temps « impossible ». La passion est immense, une sorte de prétendue « amour » naît entre eux, mais aussi l’obsession, la jalousie, et un jeu de domination et de manipulation. Le décor n’est pas fortuit : 1986, Berlin-Est. Ce n’est pas seulement un lieu, c’est l’épicentre, le point d’où part la vague déferlante de l’histoire et du temps — et ce n’est pas la première fois. L’Allemagne elle-même est l’épicentre sismique de l’Europe, successivement engendrant de ses entrailles chaos, violence et souffrance. C’est pourquoi l’amour de Hans et Katharina a pour musique de fond le Requiem de Mozart : chaque mouvement de passion est une ode à la mort, à la souffrance et à la fugacité.

    Dans toute cette obscurité se cache peut-être aussi le génie de la terre allemande, qui a donné naissance à une créativité inestimable, à la beauté et à la sagesse, le tout arrosé de souffrance, de destruction et d’une semence infinie de mort. Derrière cette « simple » histoire d’amour (d’ailleurs, existe-t-il seulement une histoire d’amour simple ?) se cache une course incessante après l’instant qui nous fuit, le moment que nous n’avons pas su « vivre » pleinement, tant individuellement que collectivement. Ainsi, Hans et Katharina se fissurent le long de leurs coutures, tout va irrémédiablement vers la perte, la séparation, la rupture — alors même que l’union est à portée de main !

    Je ne vous mentirai pas : Erpenbeck n’a pas écrit le roman le plus facile à lire. N’attendez pas de raccourcis faciles, des officiers sinistres de la Stasi, le Pacte de Varsovie, des nids de mitrailleuses et des tours à projecteurs, où les gens vivaient en « noir et blanc ou sépia » tandis qu’à l’Ouest régnait la vie en Technicolor stéréo Dolby. Son regard sur le temps et la littérature n’est pas manichéen ni simpliste. Chaque page de ce roman, avec une maîtrise consommée, interroge les raisons pour lesquelles le temps est un terrain glissant, où il est presque impossible de rester en équilibre.

    Pour ne pas trop m’étendre : un roman exceptionnel, brillamment écrit, avec une connaissance profonde des mécanismes de l’histoire, de la littérature et des relations humaines. Jenny Erpenbeck est une grande écrivaine ; elle a réussi à saisir Kairos par les cheveux, à condenser un temps complexe et unique en un roman puissant, même si nous sommes toujours en retard, même si nous courons toujours après le temps.

    « KAIROS »
    Éditions Gallimard
    24 €

  • “Fardeau” de Mathieu Niango : quand l’histoire personnelle rencontre la grande Histoire

    Et si votre héritage familial vous réservait une révélation insoutenable ? C’est le point de départ de “Fardeau”, où Mathieu Niango explore avec une lucidité troublante les ramifications intimes du passé.

    Né d’un père sénégalais et d’une mère française, Niango puise dans sa propre expérience métisse pour interroger les constructions identitaires. Dans ce récit à mi-chemin entre l’enquête et le roman, le narrateur découvre que sa grand-mère a participé au programme Lebensborn et que son grand-père était officier SS. Sa mère, enfant adoptée, avait été destinée à incarner l’idéal aryen.

    Diplômé en lettres modernes et en histoire contemporaine, Matthieu Niango excelle à croiser les registres : sa prose allie précision documentaire et sensibilité littéraire, sans jamais tomber dans le pathos. Son approche rejoint celle d’auteurs comme Laurent Binet ou Ivan Jablonka, qui font dialoguer mémoire collective et récit intime.

    “Fardeau” est une réflexion puissante sur la transmission, la culpabilité et la fragilité des identités imposées. Comment se construire lorsque l’Histoire vous rattrape ? Comment porter un héritage que personne ne revendique ?

    Le titre dit l’essentiel : ce poids des secrets, des non-dits, des traces persistantes du nazisme dans les arbres généalogiques. Une lecture nécessaire, qui prolonge le devoir de mémoire en l’inscrivant dans le présent.

    “Fardeau” est disponible à la librairie Chien Sur La Lune – un lieu reconnu pour son choix exigeant d’ouvrages engagés et littéraires.

    EDITIONS Mialet Barrault 22 Euros

  • John Boyne »Les Éléments « 

    Dans son nouveau roman, John Boyne — auteur incontournable de la littérature contemporaine, célèbre pour Le Garçon en pyjama rayé — nous entraîne bien au-delà d’une simple narration. Les Éléments n’est ni un traité de géographie ni une étude des éléments naturels, mais une plongée vertigineuse dans les méandres de la psyché humaine. L’écrivain irlandais interroge avec une lucidité rare les mécanismes du mal, la fragilité des équilibres moraux, et les chemins tortueux qui mènent à la rédemption.

    Structuré en quatre récits distincts mais intimement liés, l’ouvrage forme une fresque romanesque de 512 pages, où se croisent trauma, culpabilité, violence et espoir. Chaque histoire — qu’il s’agisse d’une île reculée hantée par le remords, d’un club de football où éclatent passions et châtiments, ou d’un service de grands brûlés où une médecin lutte contre ses propres démons, elle-même devenue un démon — s’inscrit dans une architecture narrative aussi ambitieuse que maîtrisée.

    Boyne excelle dans l’art de la prose fluide et percutante, capable de saisir le lecteur dès les premières lignes pour ne plus le lâcher. Son écriture, à la fois hypnotique et addictive, explore sans complaisance des thèmes difficiles — agression sexuelle, pédophilie, vengeance — tout en maintenant une tension narrative qui culmine dans une finale grandiose, unifiant l’ensemble des personnages dans une conclusion cathartique.

    Si le roman n’épargne rien des noirceurs humaines, il offre pourtant une lueur d’espoir subtile et puissante. Comme l’air qui permet de respirer après l’épreuve du feu, le récit se clôt sur une note de reconstruction et d’évolution. Impossible d’en sortir indemne : cette œuvre marque, transforme, et interroge durablement.

    Les Éléments s’impose ainsi comme une œuvre indispensable, tant par sa force littéraire que par son humanité profonde. Un roman symphonique, exigeant et poignant, qui confirme une fois de plus le talent de John Boyne pour saisir l’essence même de nos contradictions.

    Éditions JC Lattès – 512 pages – 23,90 €
    Disponible à la librarie Chien Sur La Lune

  • Un album où l’amitié devient géante

    Amateurs de rêves, avez-vous jamais souhaité partager ces songes avec votre enfant ?

    Quand les amis sont vrais, ils deviennent géants. Non seulement par leur taille, mais surtout par leur âme. Une merveilleuse histoire, tendre et sérieuse à la fois, pour les petits comme pour les grands.

    Hyewon Kyung, avec son album jeunesse Mon Gigantesque Ami, invite les enfants à laisser vagabonder leur imagination à travers des illustrations oniriques et une esthétique tout droit sortie des plus beaux songes. Mais cet ouvrage aborde aussi avec délicatesse des thèmes profonds tels que l’amitié, la famille, la perte et la solitude.

    Dépêchez-vous de découvrir cet album sur nos étagères, à la librairie Chien Sur La Lune. Là où les plus beaux rêves sont bercés par la lueur lunaire.

    Casterman , 16euros95

    « Mon gigantesque ami secret »Hyewon Kyung

  • La Tentation Artificielle : Un Vertige Numérique aux Confins de l’Âme 

    Par une nuit d’été dans le nord du Portugal, alors que les brumes montagneuses s’accrochaient aux versants comme des spectres, j’ai plongé dans les abysses de Clément Camar-Mercier. Son roman, « La Tentation Artificielle », est une lame glacée qui transperce l’époque avec la précision d’un scalpel. Ce n’est pas un livre, c’est un miroir brisé où se reflète notre propre naufrage.

    Imaginez un monde où la lumière ne vient plus du soleil, mais des écrans. Où l’organique se dissout dans le silicium, où l’âme n’est plus qu’une suite de 0 et de 1. Camar-Mercier ne nous offre pas un simple récit d’anticipation, mais une « autopsie du présent ». Son héros, Jérémie, génie du code et architecte (in )volontaire d’un nouveau Léviathan numérique, incarne cette schizophrénie moderne : il est à la fois le prêtre et la victime d’un culte où la technologie a remplacé le sacré.  

    L’auteur nous entraîne dans une danse macabre entre les murs millénaires de l’abbaye de Solesmes, les couloirs aseptisés du ministère de l’Intérieur et les bureaux clinquants de Xavier Niel, où se joue une partie de l’avenir numérique. Jérémie, rongé par une maladie inconnue, cherche refuge dans le silence des moines. Mais peut-on échapper au bruit du monde quand on a contribué à le créer ? La rencontre entre l’ancien et le moderne n’est pas une rédemption, mais une « collision ». 

    Avec une ironie noire digne de Jaroslav Melnik ou d’Evanson, Camar-Mercier dissèque notre addiction aux univers numériques. Son écriture, fluide et tranchante, file comme un torrent de montagne dans les veines du lecteur. Il ne nous avertit pas d’un futur lointain, mais d’un « présent »déjà corrompu. Les algorithmes ne se contentent plus de gérer nos vies ; ils les définissent, digèrent nos désirs, formattent nos rêves. Nous ne sommes plus des êtres, mais des « données »  nourrissant une intelligence artificielle insatiable.

    Pourtant, malgré l’horreur, il y a du rire dans ce roman. Un rire grinçant, qui démasque l’absurdité des « créateurs d’alternatives réalités », ces nouveaux démiurges qui se prennent pour des dieux. Camar-Mercier manie la satire avec une élégance cruelle, rappelant que le véritable danger n’est pas la machine, mais l’homme qui l’a conçue – et qui s’y soumet avec une ferveur quasi religieuse. 

    Comme l’écrit l’auteur lui-même : « Dans un livre, tout doit être faux et vrai, sinon ce n’est pas juste. « La Tentation Artificielle » ne propose pas d’échappatoire. Seule une faille, un « glitch », une imperfection dans le système, pourrait nous sauver. Mais encore faudrait-il la voir avant qu’il ne soit trop tard. 

    Ce livre est un chant funèbre pour une humanité en voie de disparition, un requiem pour l’organique , spirituelle . Il nous force à regarder en face ce que nous sommes en train de devenir : des fantômes numériques, hantant un monde que nous avons nous-mêmes déserté. 

    Clément Camar-Mercier, romancier et dramaturge, signe ici un deuxième roman aussi haletant que documenté, prolongeant sa réflexion sur les addictions modernes entamée dans « Le Roman de Jeanne et Nathan ».

    Sortie le 20 août 2025 

    Vous pourrez vous procurer « La Tentation Artificielle »  à la librairie Chien Sur La Lune, lieu incontournable des amateurs de littérature audacieuse. 

    Lisez-le. Avant qu’il ne soit trop tard.